mardi 20 avril 2010

Au banquet du 2 juillet 1925 : le discours de Jean Royère

On a déjà cité maintefois le nom de Jean Royère en ces lieux. Saint-Pol-Roux le considérait son "frère en poésie". Il fut, alors jeune directeur de l'influente et contestée Phalange, à l'origine de la requête adressée à Jules Claretie réclamant que la Dame à la Faulx fût jouée à la Comédie française - c'était en 1909 - puis il lui fut, jusqu'à la mort du vieil aède, un indéfectible soutien. Il faudra y revenir.

Royère assista aux deux banquets mémorables de 1909 et de 1925. Il fit partie, au cours de ce houleux dernier, des intervenants qui rendirent hommage à Saint-Pol-Roux. Il semble bien que son discours fût prononcé - mais fut-il entendu ? - soit que la bagarre rachildienne n'eût pas encore débuté, soit qu'elle fût achevée. Royère avait d'ailleurs, pour lui, le respect des surréalistes et d'André Breton - n'avait-il pas publié les premiers poèmes de ce dernier dans sa Phalange ? Leurs routes poétiques, toutefois, s'étaient depuis fort écartées. La revue, La Vie, eut la bonne idée de reproduire ce discours dans son numéro du 15 septembre 1925 ("Les lettres et les arts", p. 310) ; et comme les bonnes idées méritent d'être réitérées, le revoici quatre-vingt cinq ans plus tard :
Saint-Pol-Roux par Jean ROYERE
Discours prononcé au banquet historique offert à Saint-Pol-Roux à la closerie des Lilas.
Si je commençais mon salut par un doctoral : Qu'est-ce que le Symbolisme, vous me prendriez justement pour un cuistre en Sorbonne ! On ne définit pas ce qui est vivant et depuis vingt-cinq ans, nous avons enterré beaucoup d'embryons d'écoles dans les cendres de ce phénix !

Saint-Pol-Roux est à la fois une des personnifications et le symbole du Symbolisme ! Pour juger de sa vitalité, vous n'avez qu'à lever les yeux vers ce "jeune Nestor" (je prends une hypotypose à Paul Fort !).

Le Symbolisme, c'est la poésie ! Depuis quarante ans, elle triomphe. On dit quelquefois : "Mais où est la poésie ? Où sont les poètes ?" Je réponds. "Partout". Tout participe maintenant de la poésie. Sans renoncer à ses bienfaits, nous quittons les plans de l'abstraction : Nous ne disons plus : La Science et l'Art ; la Pensée et l'Image ; le Concept et le Sentiment ; nous ne redisons même plus : l'Esprit et le Monde ; le Moi et le Non-Moi ; l'Individu et la Foule. Nous disons : la Vie ou le Rêve. La Poésie se situe aux lieux où s'effacent les antinomies.

De cette poésie nombreuse et suave, vaste et étroite, humble et hautaine, humaine et panique, je le répète Saint-Pol-Roux est le parangon. Vous le savez et vous m'en voudriez d'étayer ce dire de trop de preuves.

J'aime de ce poète la divine emphase puisque :
Plus vaste que la mer est le mot qui la nomme !...
Le lyrisme qui a débordé, en 1885, sur la planète, fut une ivresse verbale. Le Romantisme de Victor Hugo était riche en mots, pauvres en tours ; or, en poésie, les unités sont syntaxiques. Les tropes du Symbolisme naissant ont refait l'enfance divine - c'est le mot - en la langue. Quelle autorité sur les âmes confère cette autorité sur le verbe ! Le rire innombrable des flots ou des feuilles de la forêt océane est une approximation de cette emphase, et j'applique à Saint-Pol-Roux l'hyperbole même dont il a couronné Verlaine :
Il n'a pas su, Paris, tes pages apparues,
Que l'Enfer et le Ciel y avaient mis la main,
Et que lorsque passait Verlaine dans ses rues
Passait une forêt sous un costume humain.
Mais j'aime aussi de Saint-Pol-Roux la suavité et l'humilité. S'il est éloquent comme l'enfant, il est tendre comme le peuple il est caressant.

La Dame à la Faulx a posé sur nos trente ans des baisers qui sacrent : nous avons tous été Magnus. Qui est-ce qui pourrait d'ailleurs contester ce chef-d'oeuvre ? Son drame est comme le lion que l'on voit de son manoir : il regarde passer les âges !

Les Reposoirs de la Procession c'est de la poésie à trois dimensions. Elle contient l'infini dans ses parthénogénèses. Elle est la fleur qui chante dans les contes : on l'entend de partout on ne l'aperçoit nulle part. L'Humanité et la Nature s'y incantent mutuellement. Ne contiennent-ils pas, ces Reposoirs, La Rose et les Epines du Chemin, c'est-à-dire les deux visages du bonheur. Ils nous conduisent de La Colombe au Corbeau par le Paon, ce qui est une façon de noyer l'amour et la mort dans l'immensité stellaire. Enfin ils nous tendent des Féeries Intérieures et ce sont celles de chacun de nous. Mais où va la Procession, quand elle a dépassé les Reposoirs ?... Et qu'est-ce que c'est que La Dame à la Faulx ? Si vous voulez le savoir, lisez non plus l'oeuvre écrite, mais la vie de Saint-Pol-Roux. Elle est comme celle de Mallarmé le poème par excellence !
JEAN ROYERE

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