mardi 27 avril 2010

Saint-Pol-Roux, grand ordonnateur des fêtes camarétoises

Il n'est peut-être pas mauvais, alors que Camaret prépare d'estivales festivités en son honneur, de rappeler combien Saint-Pol-Roux participa hyperactivement à l'animation sociale, culturelle, patrimoniale de ce petit port du bout-du-monde, qui l'adopta dès 1905. J'en veux donner aujourd'hui un seul exemple, mais particulièrement emblématique.

En 1912, soit sept ans seulement après son installation dans son manoir du Boultous, Saint-Pol-Roux se chargea, ou fut chargé, d'organiser la Grande Régate de l'été, dont il fit un spectaculaire Hommage à la Victoire : ample et ambitieuse commémoration de "la victoire que Vauban remporta en 1694 contre la flotte anglo-hollandaise qui tentait un débarquement pour surprendre Brest".

Le Magnifique ne lésina pas sur les moyens de la reconstitution - reconstitution conçue toutefois comme célébration de la paix ; il pouvait en effet compter sur l'assistance d'un autre "citoyen de Camaret" d'importance : André Antoine, qu'il sollicita pour le prêt des costumes, et qui, amicalement, s'exécuta. L'inattendue grandeur de la manifestation du 11 août, attira l'attention des journaux de Paris, qui lui dédièrent mieux qu'un entrefilet. Voici d'abord, du Journal des débats politiques et littéraires (12 août 1912, p. 3) :
La fête de la Victoire à Camaret
Brest, le 11 août. - On sait que la baie de Camaret fut, en 1694, le théâtre du débarquement de la flotte anglo-hollandaise, alors en guerre contre notre pays. La célèbre chapelle de Rocamadour, dont une partie fut récemment détruite par un incendie et qui fut aussitôt restaurée grâce à l'initiative du poète Saint-Pol Roux, eut sa flèche abattue par les canons ennemis. Ce furent à peu près les seuls dégâts que put commettre la flotte anglo-hollandaise, car le marquis de Vauban veillait. Prévoyant qu'une tentative de débarquement s'opèrerait à Camaret, il fit établir des batteries.

Le 18 juin, à la faveur du brouillard, sept frégates ennemies viennent s'embosser à portée des batteries françaises. La canonnade commença.

L'ennemi effectue sa descente, mais nos troupes, aidées des paysans et des pêcheurs camarétois, le met incontinent en déroute et le rejette à la mer.

Une frégate hollandaise, s'étant échouée sur le "Sillon" de Camaret, fut obligée d'amener pavillon. Un transport anglais fut coulé par les Français.

Après cette défaite, les bâtiments des alliés levèrent l'ancre et regagnèrent leurs ports d'attache.

Pour immortaliser cette victoire, Louis XIV fit frapper une médaille à son effigie, dont le revers représente, au premier plan, Minerve appuyée sur un bouclier auprès d'un trophée naval ; la mer couverte de vaisseaux forme le fond du tableau.

Le poète Saint-Pol Roux, qui passe tous ses étés à Camaret [les quatre saisons en vérité], a décidé d'illustrer les régates camarétoises, dont il a été nommé président, et qui ont lieu aujourd'hui dimanche, en commémorant cet important événement historique.

Il a imaginé, pour réaliser son idée, un éblouissant programme de fêtes, qui n'a pas manqué d'obtenir un très grand succès.

Cette "Victoire de Camaret" était personnifiée par une belle jeune fille camarétoise, Mlle Lisette Duédal, âgée de dix-neuf ans.

Portant les armes de France, elle était entourée par deux compagnes d'honneur portant l'une les couleurs d'Angleterre, l'autre les couleurs de Hollande.

Le fond décoratif sur lequel évoluait cette gracieuse trinité était constitué par des régates fleuries dans le port, celles-ci faisant face au corso fleuri du quai.

Ce qui donnait à cette fête sa véritable signification, c'est qu'elle avait été conçue dans un sens pacifique.

S.M. George V, roi d'Angleterre, a fait écrire par son ambassadeur à M. Saint-Pol Roux, pour lui témoigner sa joie personnelle de voir commémorer la journée historique du 18 juin 1694. - (De notre correspondant.)
Voici, ensuite, extrait du même journal, le lendemain :
La fête de la Victoire à Camaret, organisée dans un cadre grandiose, fut un beau succès d'entente cordiale.

Après la lettre de satisfaction du roi George, ce fut le maire de Plymouth qui adressa une splendide écharpe de soie blanche destinée à Lisette Duédal, personnifiant la Victoire. Les vapeurs brestois, pavoisés de drapeaux français, anglais hollandais, décorés de verdure, amenèrent des milliers de spectateurs.

Le ministre de la guerre avait autorisé une section d'artillerie du fort de Lagatjar à venir avec de petits canons de campagne qui tirèrent de multiples salves pendant les divers épisodes de la fête, et la musique du 19e d'infanterie prêtait son concours. A une heure, la Victoire accompagnée de deux demoiselles d'honneur portant les couleurs anglaises et hollandaises, arrive dans un superbe char à la Tour dorée de Vauban, classée comme monument historique. Le corps de garde de la tour est occupé par des soldats de Vauban. Au sommet se tiennent le Roi Soleil, Vauban, Jean Bart entourés de seigneurs, de mousquetaires, gardes françaises, corsaires.

Après avoir reçu leurs hommages la Victoire prend la tête d'un cortège historique ; puis, sur les quais, pendant que se courent les régates à la voile, se déroule corso fleuri avec bataille de fleurs.

A quatre heures commencent les régates fleuries, auxquelles prennent part des multitudes de barques toutes fleuries et pavoisées aux drapeaux des trois nations.

La fête se termine par un épisode de mer réglé par le poète Saint-Pol Roux qui déclame un poème d'hommage à la Valeur et célèbre la Fraternité.

La poètesse Perdriel-Vaissière, habillée en paysanne bretonne, déclame également un poème. La fête devait se continuer le soir par des bals en plein vent et des fêtes vénitiennes, mais à partir de six heures la pluie est tombée diluvienne. - (De notre correspondant.)
Ces poèmes furent recueillis dans une plaquette, éditée par l'Imprimerie de la Dépêche de Brest. On y peut lire l'Hymne à la Victoire de Saint-Pol-Roux, La Combattante (Notre-Dame de Rocamadour en Camaret) de Jeanne Perdriel-Vaissière, et, plus inattendu, un poème de Coecilian, le fils aîné du Magnifique, alors âgé de 20 ans. Il s'intitule Camaret-la-Victoire :
CAMARET-LA-VICTOIRE
Au légendaire temps des bâtiments à voiles
Alors que les marins n'avaient que les étoiles,
Tu vis, ô Camaret, sur tes flots assagis
Bondir dans le soleil les lourds boulets rougis.

Aujourd'hui ce soleil qui dora ta victoire
A mis dans ses rayons des hymnes pour ta gloire
Et demandé des fleurs aux moindres arbrisseaux
Afin de mieux gréer les mâts de tes vaisseaux.

De la Pointe du Gouin à la Pointe Espagnole,
Les parfums et les chants te font une auréole,
Et même tes menhirs semblent ragaillardis
Sous l'obstiné lichen dont ils se sont verdis.

Partout le rire clair et la franche allégresse,
Partout le geste ancien qu'amende une caresse,
Chacun sent naître en soi comme un nouvel été
Où ces fleurs en s'ouvrant montrent de la beauté.

O fleurs qui remplacez les boulets et les piques !
O fils mâles et bons des ancêtres tragiques !
Spectacle noble et pur de trois coeurs différents
Unis dans un exploit de plus de trois cents ans !

O petit port entré pour toujours dans l'histoire,
Tu portes bien ton nom : Camaret-la-Victoire !
Reste digne des vieux qui l'inscrivirent haut,
Dis-toi que c'est par eux que ce nom dure et vaut !
COECILIAN.

mardi 20 avril 2010

Au banquet du 2 juillet 1925 : le discours de Jean Royère

On a déjà cité maintefois le nom de Jean Royère en ces lieux. Saint-Pol-Roux le considérait son "frère en poésie". Il fut, alors jeune directeur de l'influente et contestée Phalange, à l'origine de la requête adressée à Jules Claretie réclamant que la Dame à la Faulx fût jouée à la Comédie française - c'était en 1909 - puis il lui fut, jusqu'à la mort du vieil aède, un indéfectible soutien. Il faudra y revenir.

Royère assista aux deux banquets mémorables de 1909 et de 1925. Il fit partie, au cours de ce houleux dernier, des intervenants qui rendirent hommage à Saint-Pol-Roux. Il semble bien que son discours fût prononcé - mais fut-il entendu ? - soit que la bagarre rachildienne n'eût pas encore débuté, soit qu'elle fût achevée. Royère avait d'ailleurs, pour lui, le respect des surréalistes et d'André Breton - n'avait-il pas publié les premiers poèmes de ce dernier dans sa Phalange ? Leurs routes poétiques, toutefois, s'étaient depuis fort écartées. La revue, La Vie, eut la bonne idée de reproduire ce discours dans son numéro du 15 septembre 1925 ("Les lettres et les arts", p. 310) ; et comme les bonnes idées méritent d'être réitérées, le revoici quatre-vingt cinq ans plus tard :
Saint-Pol-Roux par Jean ROYERE
Discours prononcé au banquet historique offert à Saint-Pol-Roux à la closerie des Lilas.
Si je commençais mon salut par un doctoral : Qu'est-ce que le Symbolisme, vous me prendriez justement pour un cuistre en Sorbonne ! On ne définit pas ce qui est vivant et depuis vingt-cinq ans, nous avons enterré beaucoup d'embryons d'écoles dans les cendres de ce phénix !

Saint-Pol-Roux est à la fois une des personnifications et le symbole du Symbolisme ! Pour juger de sa vitalité, vous n'avez qu'à lever les yeux vers ce "jeune Nestor" (je prends une hypotypose à Paul Fort !).

Le Symbolisme, c'est la poésie ! Depuis quarante ans, elle triomphe. On dit quelquefois : "Mais où est la poésie ? Où sont les poètes ?" Je réponds. "Partout". Tout participe maintenant de la poésie. Sans renoncer à ses bienfaits, nous quittons les plans de l'abstraction : Nous ne disons plus : La Science et l'Art ; la Pensée et l'Image ; le Concept et le Sentiment ; nous ne redisons même plus : l'Esprit et le Monde ; le Moi et le Non-Moi ; l'Individu et la Foule. Nous disons : la Vie ou le Rêve. La Poésie se situe aux lieux où s'effacent les antinomies.

De cette poésie nombreuse et suave, vaste et étroite, humble et hautaine, humaine et panique, je le répète Saint-Pol-Roux est le parangon. Vous le savez et vous m'en voudriez d'étayer ce dire de trop de preuves.

J'aime de ce poète la divine emphase puisque :
Plus vaste que la mer est le mot qui la nomme !...
Le lyrisme qui a débordé, en 1885, sur la planète, fut une ivresse verbale. Le Romantisme de Victor Hugo était riche en mots, pauvres en tours ; or, en poésie, les unités sont syntaxiques. Les tropes du Symbolisme naissant ont refait l'enfance divine - c'est le mot - en la langue. Quelle autorité sur les âmes confère cette autorité sur le verbe ! Le rire innombrable des flots ou des feuilles de la forêt océane est une approximation de cette emphase, et j'applique à Saint-Pol-Roux l'hyperbole même dont il a couronné Verlaine :
Il n'a pas su, Paris, tes pages apparues,
Que l'Enfer et le Ciel y avaient mis la main,
Et que lorsque passait Verlaine dans ses rues
Passait une forêt sous un costume humain.
Mais j'aime aussi de Saint-Pol-Roux la suavité et l'humilité. S'il est éloquent comme l'enfant, il est tendre comme le peuple il est caressant.

La Dame à la Faulx a posé sur nos trente ans des baisers qui sacrent : nous avons tous été Magnus. Qui est-ce qui pourrait d'ailleurs contester ce chef-d'oeuvre ? Son drame est comme le lion que l'on voit de son manoir : il regarde passer les âges !

Les Reposoirs de la Procession c'est de la poésie à trois dimensions. Elle contient l'infini dans ses parthénogénèses. Elle est la fleur qui chante dans les contes : on l'entend de partout on ne l'aperçoit nulle part. L'Humanité et la Nature s'y incantent mutuellement. Ne contiennent-ils pas, ces Reposoirs, La Rose et les Epines du Chemin, c'est-à-dire les deux visages du bonheur. Ils nous conduisent de La Colombe au Corbeau par le Paon, ce qui est une façon de noyer l'amour et la mort dans l'immensité stellaire. Enfin ils nous tendent des Féeries Intérieures et ce sont celles de chacun de nous. Mais où va la Procession, quand elle a dépassé les Reposoirs ?... Et qu'est-ce que c'est que La Dame à la Faulx ? Si vous voulez le savoir, lisez non plus l'oeuvre écrite, mais la vie de Saint-Pol-Roux. Elle est comme celle de Mallarmé le poème par excellence !
JEAN ROYERE

dimanche 18 avril 2010

Un nouvel addendum au BASPR4 : Une lettre de Jules Renard à Paul Fort

Mon ami Kensaku vient de rappeler à mon oublieuse mémoire qu'on trouvait mention du nom de Saint-Pol-Roux dans les Lettres retrouvées (1884-1910) de Jules Renard, publiées par le cherche midi éditeur en 1997. C'est dans une lettre à Paul Fort, datée du 27 janvier 1909. La voici :


44, RUE DU ROCHER-PARIS VIIIe
27 janvier 1909
Mon cher ami Paul Fort,
Je ne dîne jamais en ville, sauf à l'Académie Goncourt, (il faut bien. !) Si je te promettais d'assister au dîner de Saint-Pol-Roux, ce serait avec l'arrière-pensée de t'adresser un télégramme d'excuses.
Je ne crois pas que le nom soit agréable à Saint-Pol-Roux, sans la présence. Il va de soi que si tu tiens tout de même au nom, je te le confie avec plaisir, persuadé que tu me le rendras intact dès que j'en aurai besoin.
A toi et aux tiens,
Jules Renard
J'ai aperçu Me Paul Fort dernièrement. Elle m'a paru bien jeune !! la poésie vous conserve. La prose nous vieillit.
On aura deviné que le "dîner Saint-Pol-Roux" dont il est question désigne le banquet de La Dame à la Faulx qui aura lieu le 6 février suivant. Jules Renard n'y participera pas mais, cédant à la demande de Paul Fort, son nom figurera tout de même au comité organisateur de la manifestation, aux côtés des noms de Rachilde, Paul Adam, Edouard Ducoté, André Fontainas, Paul Fort, Charles-Henry Hirsch, Gustave Kahn, Legrand-Chabrier, Camille Mauclair, Stuart Merrill, Francis de Miomandre, Albert Mockel, Jean Moréas, Charles Morice, Alexandre Natanson, Julien Ochsé, Edmond Pilon, Henri de Régnier, Jules Romains, Jean Royère, André Salmon, Alfred Vallette, Emile Verhaeren, Francis Vielé-Griffin, Tancrède de Visan : une sacrément belle cohorte.

Etrangement, on ne retrouve pas l'ami Renard parmi les principaux signataires de la Requête à Jules Claretie que cite Saint-Pol-Roux dans une lettre à Victor Segalen. Bien qu' il fût absent du banquet, on imagine mal le Magnifique ne pas lui adresser, dans les jours qui suivirent, un courrier le priant de joindre sa signature à la pétition, comme il ne manqua de le faire pour d'autres importantes personnalités : Rostand, Rodin ou Schwabe, par exemple.

Jules Renard, après tout, était une vieille connaissance, rencontrée dans les bureaux du vagissant Mercure de France. Puis au comité de lecture du Théâtre d'Art de l'ami Paul Fort. Saint-Pol-Roux le jugeait alors un "tempérament curieux", appréciant "parmi toutes ces épines, [...] d'originales roses de visions on ne peut plus charmantes". Un goût certain pour l'image inattendue les réunissait. Jules Renard, prosateur, était un magnifique à sa manière, ce qui n'échappa, bien entendu, pas au poète :
14 décembre [1893].
Saint-Pol-Roux me dit :

- Si, Renard ! Vous êtes magnifique. Nous sommes tous magnifiques. Jules Renard et Saint-Pol-Roux, au fond, c'est la même chose. Vous faites en comique ce que je fais au tragique. Il y a dix ans, j'ai écrit les Pompiers du village, que vous pourriez signer aujourd'hui, les mêmes curiosités de phrases, la lutte du concret et de l'abstrait. Nous partons d'un point commun pour nous diriger dans deux sens absolument opposés. N'est-ce pas votre avis ? N'avez-vous pas vous-même remarqué ça ?

in Journal de Jules Renard, Bibliothèque de la Pléiade, nrf Gallimard, Paris,
1960, p. 191
L'auteur de L'écornifleur, malheureusement, ne transcrit pas sa réponse, s'il en fit une. Il serait amusant, à défaut, et peut-être instructif, de comparer certains textes des Histoires naturelles avec les poèmes "animaliers" des Reposoirs de la procession. On y trouverait une nature commune : "Cette jolie idée de Saint-Pol-Roux que les arbres échangent des oiseaux comme des paroles" (Ibid., 7 mai 1894, p. 221). Mais, puisque nous feuilletons l'admirable Journal, ne nous arrêtons pas en si bon chemin, et piquons sur ce billet les dernières apparitions du Magnifique en icelui : elles seront d'autant plus pertinentes qu'elles s'ombrent de la silhouette damalafalcique.

Le 4 avril 1897, Renard est chez Jules Lemaître :
Il change de conversation en me montrant un manuscrit de Saint-Pol-Roux, une pièce injouable, mais qui l'amuse. Roux lui a écrit deux lettres "magnifiques". Lemaître lit quelques belles images, dont aucune ne porterait. On n'entendrait même pas les mots.
- Quelqu'un viendra, dis-je, qui lira Roux et adaptera tout cela au goût français.
Lemaître dit d'ailleurs que tout se trouve déjà dans Hugo. Il ignore Claudel. (p. 401)
Le poète, fraîchement revenu des Ardennes, cherchait alors à trouver un théâtre hospitalier à sa Dame. Est-ce lui qui donna à lire son manuscrit au critique dramatique du Journal des débats politiques et littéraires ou ce dernier le reçut-il d'un directeur ou d'une directrice de théâtre - Sarah B. pour ne point la citer - qui souhaitait quelque avis ? Il est impossible de conclure, mais remarquons tout de même que la critique de Renard rejoint celle que fera Sarah B. au Magnifique : le drame n'était pas réalisable, tel quel, en France. Mais n'était-ce pas plutôt à la France de s'adapter ?

Décidément, le manuscrit voyagea puisqu'on le retrouve le 7 mai 1898 chez Edmond Rostand :
Saint-Pol-Roux lui adresse un manuscrit, la Dame à la faulx, où la plus douce folie est parsemée de talent.
Personnellement, je ne saurais dire si cette dernière phrase était, pour Renard ou pour Rostand - sait-on seulement duquel elle émane ? - une critique ou un compliment...

C'est là sans doute ce qui définit le mieux l'amitié littéraire vécue par les deux hommes, le narratif et le lyrique : une certaine distance ironique.

samedi 17 avril 2010

Victor Segalen - L'Exote : Voyage au Pays du Bibliophile

Il y a, en matière de bibliophilie, toutes sortes de catalogues : des très-simples, faits de photocopies agrafées, des petits formats brochés, des grands formats sur papier recyclé, des en-papier-glacé, des numériques, des purement descriptifs, des aux-notices-plus-détaillées, des généralistes, des spécialisés, des thématiques, etc. ; bref, il existe une foultitude de types de catalogues pour amateur de livres. J'aime beaucoup en recevoir et prendre le temps de les feuilleter dans l'espoir fébrile de trouver une information ou la rareté qui manque à ma bibliothèque. Je les remise ensuite dans une boîte, qui sommeille en un coin de mon garage faute de la place nécessaire dans mon bureau. Il y en a un, toutefois, qui ne connaîtra pas ce sort, et c'est le dernier catalogue de la Librairie Pierre Saunier, reçu la semaine dernière et entièrement consacré à Victor Segalen - L'Exote.

Disons-le sans attendre : il s'agit, certes, d'un catalogue, avec descriptions matérielles et liste de prix, et pourtant, c'est autre chose qu'un catalogue "classique" ; c'est, tout simplement, un livre, et un très-beau livre, magnifiquement imprimé, aéré, richement illustré, s'autorisant de larges marges. Ceci, pour la forme. Quant au contenu, on compte pas moins de 229 entrées, non pas simplement disposées ordralphabétiquement, mais agencées de telle façon que s'y retracent le parcours biographique et géographique (la thèse de médecine sur Les cliniciens ès-lettres, la Polynésie, la Chine), les influences et les amitiés du voyageur-poète (Gauguin, Debussy, Rimbaud, Claudel, Gilbert de Voisins, Claude Farrère, Jules de Gaultier, Saint-John Perse, Saint-Pol-Roux). Et les notices de Pierre Saunier, ses stèles introductives, sont généreuses, documentées, précieuses. Je n'ose pas imaginer le temps qu'il lui aura fallu pour réunir la matière de ce catalogue, ces 229 livres et documents, pour la plupart d'une superbe rareté. Jugez plutôt : trois des 81 exemplaires nominatifs de l'édition originale de Stèles, imprimés sur papier impérial de Corée : le n°64 d'Albert de Pouvourville, le n°63 de Natalie Clifford Barney, le n°22 de Claude Farrère ; Les Immémoriaux, l'exemplaire de l'auteur ; Les cliniciens ès-lettres avec un long et bel envoi au pianiste Jean Cras, son cousin, auquel Saint-Pol-Roux consacrera un beau sonnet ; des premiers papiers des livres de Gilbert de Voisins, avec d'amusantes dédicaces à lui-même ; des manuscrits ; un exemplaire de la Philosophie des parfums de Charles Regismanset ayant appartenu à Remy de Gourmont ; mais aussi et bien sûr des entrées magnifiques : rien moins qu'une lettre - et une fort belle - de Segalen à son aîné, au sujet de La Dame à la Faulx que le comité de lecture de la Comédie française venait de refuser ("Au moment où d'ici, je m'emportais contre la Bêtise et la Veulerie, ou pis encore, de ceux qui t'écoutaient et ne t'ont pas sauté au cou, toi tu disais des paroles, qui sont aussi belles que la Beauté qu'ils maintenaient dehors...") ; des exemplaires du Bouc Emissaire (celui d'Alfred Vallette), de L'Âme noire du Prieur blanc, de La Rose et les épines du chemin, de De la colombe au corbeau par le paon, des Féeries intérieures, de La Dame à la Faulx, du premier tome des Reposoirs de la procession (1893), avec un envoi à Alexandre Mercier, collaborateur de l'En-dehors, et dont l'exemplaire est truffé de trois lettres et une carte autographe de Saint-Pol-Roux à ce dernier. Et pour ne rien gâcher, j'aime ce qu'écrit Pierre Saunier à propos de l'amitié qui lia Segalen au poète idéoréaliste, parce que si juste et si rarement dit par les spécialistes :
"[Saint-Pol-Roux] est une des premières rencontres littéraires importantes de Segalen ; il eut sur le jeune officier de marine une influence qui compta plus durablement encore que celle d'un Huysmans ou d'un Gourmont - les lettres publiées (éditions Rougerie) en témoignent, comme elles révèlent en plus de son attachement affectueux tout l'espoir que Saint-Pol-Roux mit en lui."
Oui, c'est un magnifique livre que ce catalogue ; et je l'ai rangé, comme tel, dans ma bibliothèque, d'où j'ai ressorti, moins jolis, plus cornés, sans aucune valeur bibliophilique, mes deux volumes des oeuvres de Victor Segalen parus dans la collection "Bouquins", pour les relire. Car, c'est là la réussite merveilleuse de Pierre Saunier : il nous rappelle quelle formidable et indispensable compagne de route est la poésie de L'Exote - Victor Segalen.
Nota : Librairie Pierre Saunier - 22, rue de Savoie / 75006 PARIS (+33 (0)1 46 33 64 91 - librairie.saunier@wanadoo.fr)
Merci à Bruno Leclercq qui m'a, le premier, signalé l'existence de ce catalogue.

Une sortie en mer le 26 juillet 1919 ou comment Saint-Pol-Roux fut sauvé du naufrage

LE CONQUET (Finistère)
30 juillet 1919.
Le canot de sauvetage du Conquet Le lieutenant Pierre Geruzez est sorti, le 26 juillet, vers 7 heures du matin, du port du Conquet pour porter secours au bateau de pêche langoustier venant d'Angleterre, Saint Pol Roux, 1708 Camaret, qui par temps de brume s'était échoué à la pointe nord de l'île Beuniguet. A l'arrivée du bateau de sauvetage sur les lieux, le patron a constaté que l'équipage du langoustier était sain et sauf dans l'embarcation du bord. Le Saint Pol Roux était bien chaviré sur un côté et, la mer baissant encore, il n'y avait plus qu'à demander le concours de la marine qui n'a pas fait défaut. Le lendemain en effet un remorqueur et un bugalet de la direction du port de Brest ont pu sauver le bâtiment, qui a été remorqué au Conquet, où, après une réparation de 24 heures, il a repris la mer et d'est rendu seul à Camaret.
Le Secrétaire Trésorier du Comité de Sauvetage,
LE VILLAIN.
(Rapport transmis par M. Hortensius TISSIER, Président du Comité de Sauvetage.)
in ANNALES DU SAUVETAGE MARITIME (54e année, 3e et 4e trimestres 1919, p. 106)
Nota : C'est tout à fait par hasard que j'ai découvert cette brève relation qui nous apprend l'existence, en 1919, d'un langoustier baptisé du nom de notre poète. Je savais qu'il y en avait eu un en 1959, inauguré par Divine, que suivit un thonier, aussi magnifiquement nommé, dans les années 1970 ; Saint-Pol-Roux, certes, avait été président des Régates de Camaret, puis, peu avant sa mort, président d'honneur de la Société centrale du Sauvetage des naufragés, mais j'ignorais qu'à peine 14 ans (et peut-être moins encore) après son installation camarétoise, on donna son beau nom de poète à un bateau de pêche. Un rien anecdotique sans doute... encore que ce rien témoigne d'une intégration réussie : celle de l'étrange châtelain à l'accent de Provence et à la mise parisienne dans la société des simples et rudes gendemers.