lundi 21 décembre 2009

Un nouvel addendum au "Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux" n°4

Il faut se rendre à l'évidence, l'exhaustivité est impossible. J'avais déjà pu m'en apercevoir il y a quelques mois lorsque l'ami C. Arnoult dénicha, dans Les Loups de Belval-Delahaye, l'apologie par Ryner de La Dame à la Faulx, courte mais intéressante apologie dénichée bien trop tard pour figurer dans le dernier Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux consacré à l'impossible représentation damalafalcique. Je reproduisis donc, ici même, l'addendum publié d'abord sur le blog Han Ryner. Or, ne voilà-t-il pas que je trouve dans un numéro de la belle revue, Les Argonautes, revue mensuelle de poésie fondée et dirigée par Camille Lemercier d'Erm (Secrétaire de rédaction : Paul Tort), le n°8 pour être précis, étonnamment daté de janvier 1909, un article de tête du directeur-fondateur lui-même, qui mérite d'être à son tour versé au dossier de l'impossible représentation..., et de se muer en un autre addendum. Il y est question, comme on va le lire, du banquet Saint-Pol-Roux et de la mort de Catulle Mendès.
La Toison d'Or
Les vivants et les morts
Samedi 6 Février, un banquet réunissait à la taverne Grüber les amis et admirateurs du grand poète Saint-Pol-Roux, surnommé "le Magnifique", à cause peut-être de sa prestance de mousquetaire, à cause surtout de ses théories littéraires. M. Léon Dierx présidait, assisté de M. Catulle Mendès. Et c'était, de la part des deux grands Parnassiens, un geste touchant et peu banal que d'honorer de leur présence et de leur parrainage cette manifestation en l'honneur du Symbolisme. Toute l'élite de la nouvelle génération était là, trépidante... A l'heure des toasts, curieux spectacle ! La salle prend un aspect de réunion publique. Des bohèmes ivres poussent des cris d'animaux et se livrent à des démonstrations d'un "symbolisme" effréné. MM. Léon Dierx, Gustave Kahn, Catulle Mendès, Max Anhély (sic), le bon poète Paul Fort, Jean Royère, directeur de "LA PHALANGE", prennent successivement la parole au milieu d'un tumulte varié. M. Saint-Pol-Roux parle enfin, remercie, disserte fort élégamment et déclare, entre autres choses, que la Poésie date du Symbolisme, est née avec lui, ce qui peut paraître sensiblement exagéré.

Finalement, on nous fait signer une adresse à M. Claretie, l'invitant à représenter "La Dame à la Faulx" de Saint-Pol-Roux sur la scène du Théâtre Français. Nous avons tous signé, mais M. Claretie, je le crains, n'a pas encore contresigné.

Or, voici qu'au lendemain de cette mémorable soirée où M. Catulle Mendès donnait, par sa seule présence, un bel exemple de tolérance artistique à ses jeunes confrères, nous venons d'apprendre la mort tragique du grand poète.

Catulle Mendès fut pendant un demi-siècle l'une des plus hautes illustrations des lettres françaises. Depuis l'époque de ses débuts vers 1860, il a produit avec une incroyable fécondité et une supérieure maîtrise plus de cent ouvrages de tous genres littéraires, et l'on pouvait attendre encore de l'infatigable écrivain des oeuvres belles et nombreuses, puisque Réjane devait jouer de lui un drame napoléonien "L'Impératrice", l'Opéra monter le "Bacchus" qu'il avait écrit pour M. Massenet et que, la veille de sa mort, il travaillait encore à son ballet "La Fête chez Thérèse" dont M. Reynaldo Hahn composait la musique.

On a reproché à Catulle Mendès de n'être point un créateur. Il demeure cependant l'un des grands initiateurs du Parnasse. Or, le Parnasse qui nous semble bien vieux aujourd'hui, et qui l'est en effet, était, ne l'oublions pas, une audace en 1860, de même que le Symbolisme fut une audace en 1885. Et la gloire des Parnassiens n'a pas été étouffée par les colères des "Symbolos", comme disait Verlaine dont ils ont tenté depuis d'exploiter le cadavre.

L'an passé, Coppée ! récemment Sardou et Mérat ! aujorud'hui, Mendès ! et parmi les comédiens, les deux Coquelin ! C'est toute une génération qui s'éteint en peu de temps.

Que sera la nouvelle, celle qui se rue bruyamment au pouvoir ? Que sera la Poésie du XXe siècle ? Les célébrités de demain vaudront-elles les gloires d'hier ? Espérons-le, croyons-le, veuillons-le avec Saint-Pol-Roux. Mais, ce soir, oublions nos luttes sans merci pour rendre un impartial et juste hommage à nos grands devanciers du Parnasse, François Coppée et Catulle Mendès.
Tous deux sont morts ! Seigneur, votre droite est terrible !...
CAMILLE LEMERCIER D'ERM

Et Lemercier d'Erm (1888-1978), dont on appréciera le beau maintien, pouvait à juste titre regretter les querelles d'écoles puisque Les Argonautes fut une revue véritablement hospitalière qui accueillit toutes les générations. Elle compta ou annonça parmi les collaborateurs de ses dix livraisons : Catulle Mendès, Léon Dierx, Charles Le Goffic, Emile Blémont, Jean Richepin, Remy de Gourmont, Verhaeren, Gustave Kahn, Jean Moréas, Tristan Klingsor, Léon Riotor, Albert Saint-Paul, Victor-Emile Michelet, Fernand Gregh, Ricciotto Canudo, Valentine de Saint-Point, Guillaume Apollinaire, Marinetti, etc. Ce qui n'est pas rien. La revue vécut peu. Camille Lemercier d'Erm devait réorienter sa quête vers une toison d'or plus politique ; celui qui avait sous-intitulé ses Argonautes, "Revue Anthologique de Poésie française" fonda le Parti nationaliste breton et devint le héraut de la cause séparatiste.
Nota : On trouvera le détail des sommaires des dix premiers numéros de la revue sur le site des Amateurs de Remy de Gourmont.

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