dimanche 20 décembre 2009

Du nouveau sur Edgar Tant...

Il y a plus d'un an, j'introduisais en ces lieux le nom fort inconnu d'Edgar Tant, poète belge dont le principal génie fut de se reconnaître en Saint-Pol-Roux un maître. On se souvient peut-être des deux dédicaces qu'il fit imprimer en tête du Rythme de la Vie et de La Sagesse du Poète : "A SAINT-POL-ROUX / LE MAGNIFIQUE / Grand comme Shakespeare, / Grand comme l'Humanité, / Grand comme Pan" et "A Saint-Pol-Roux le Magnifique, / le Michel-Ange de la Poésie". On ferait difficilement moins nuancé comme aveu d'admiration.

J'ai, depuis, fait l'acquisition de deux nouvelles plaquettes de Tant. La première, EXODE - octobre 1914 (J. Lebègue & Cie, Libraires-éditeurs à Bruxelles et Paris, 1919) est un récit très probablement autobiographique, que l'auteur présente en quelques lignes :
"En ces pages nous souhaitons retracer les impressions d'un poète belge exilé et les péripéties amenées par les difficultés d'une langue à peine entendue.

Lors de l'invasion allemande, il se rend à pied de Bruges à Breskens, passe l'embouchure sud de l'Escaut et poursuit de Flessingue à Veere, où il croit pouvoir se loger."
En résumé, l'histoire d'un poète wallon, amoureux de littérature française et francophone, cherchant refuge en pays flamand, soit, pour lui, en plein domaine étranger. Le passage le plus intéressant de ce récit est celui où, à Middelbourg, après nous avoir appris qu'il est un cousin de feu Georges Rodenbach, il fait la rencontre du directeur francophile de la bibliothèque, qui lui ouvre la réserve. Il se retrouve alors en pays familier :
"Il mit la main sur Femmes, par Paul Verlaine, appartenant à la trilogie Chair : femmes, hommes, amies, série de poésies licencieuses qu'on ne lui délivra que sur son insistance et principalement en qualité d'auteur d'un recueil de vers érotiques : l'Amour bande. Il emporta l'album Masques d'André Gill, admirables portraits-charges gravés à l'eau forte, préfacés par Jean Richepin, les Mois, par François Coppée, grand in-quarto illustré par un procédé de reproduction spécial, et Saintes du Paradis, petits poèmes de Remi (sic) de Gourmont avec bois de Félix Vallotton (sic)."
Il n'existe pas, à ma connaissance, dans la bibliographie d'Edgar Tant, de recueil intitulé L'Amour bande, mais ce titre en cache peut-être un autre. L'auteur fait, en outre, une erreur lorsqu'il mentionne des bois de Vallotton illustrant la plaquette de Gourmont ; l'illustrateur des Saintes du Paradis fut Georges d'Espagnat. L'extrait ne nous renseigne pas moins sur les goûts littéraires du poète belge, entre parnasse et symbolisme. Une autre figure, plus ancienne, apparaîtra un peu plus loin, que nous avions déjà rencontrée, celle de La Fontaine : "M. Sw. [le bibliothécaire] installe confortablement l'exilé dans la salle de lecture et lui montre une superbe édition ancienne des oeuvres complètes de La Fontaine, illustrées de fines et malicieuses gravures admirablement appropriées au texte imprimé en caractères antiques sur Van Gelder à large marge. L'écrivain manipule religieusement cet ouvrage d'élite et délecte la salutaire convalescence des âmes qu'un rayon d'art à nouveau illumine !..."

De Saint-Pol-Roux, point n'est question dans le récit de cet exil. Son nom n'apparaît pas plus dans la plaquette suivante : QUATRAINS (Editions de la Revue Littéraire et Artistique, Paris, 1923), imprimée sur papier bouffant à 250 exemplaires in-8° couronne. Le quatrain, décidément, fut la forme poétique que Tant avait élue. On n'y trouvera pas de révolution métrique, d'innovations rimiques, mais le même élan lyrico-philosophique déjà relevé dans Le Rythme de la Vie.


J'ai dit que le nom de Saint-Pol-Roux n'y apparaissait pas ; sa présence tutélaire, toutefois, n'est pas improbable dans tel quatrain :

Au bord de l'océan, loin de la foule humaine
De simples coeurs encor savent le Paradis
Dont l'angélique paix semble toujours lointaine
A ceux que la rumeur n'a que trop étourdis !

et évidente dans l'épigraphe qui ouvre le recueil :
"Celui qui n'a égard, en écrivant, qu'au goût de son siècle, songe plus à sa personne qu'à ses écrits : il faut toujours tendre à la perfection, et alors cette justice, qui nous est quelquefois refusée par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre."
En effet, cette citation extraite des Caractères de La Bruyère épigraphie tous les volumes des Reposoirs de la Procession de Saint-Pol-Roux, du premier paru en 1893 jusqu'au dernier publié en 1907. La retrouver ici, en tête des QUATRAINS d'Egar Tant, nous conforte dans l'idée que notre poète belge s'était choisi le Magnifique comme idéal modèle.

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