dimanche 18 octobre 2009

Ephéméride - 18 octobre 1940 : éclipse "magnifique"

"Allez bien doucement messieurs les fossoyeurs.

Allez bien doucement, car si petit qu’il soit de la taille d’un homme, ce meuble de silence renferme une foule sans nombre et rassemble en son centre plus de personnages et d’images qu’un cirque, un temple, un palais, un forum ; ne bousculez pas ces symboles divers pour ne pas déranger la paix d’un univers…"


Mort de Saint-Pol-Roux

"Le Magnifique" disaient ironiquement des plaisantins qui ne savaient pas si bien dire. Car si jamais un poète a mérité d'être ainsi appelé, ce fut bien Saint-Pol-Roux.

Plus tard, parce que la vérité, toute la vérité, si horrible qu'elle se montre, est due à celui qui ne mentit jamais, je dirai le drame qui s'est abattu sur la dernière année de son âge et qui, certainement, a précipité pour lui la visite et la délivrance que nous attendons tous de la mort... "la Dame à la Faulx" ainsi qu'il l'appela lui-même pour nommer une tragédie qui est unique dans le théâtre français...

La mort n'emporte aujourd'hui qu'un poète et le plus libre des hommes. Celui-ci, monté tout de suite très haut, n'est jamais redescendu. Il eût pu blasonner son œuvre, son attitude et son exemple de ces vers de Leconte de Lisle : "Je ne livrerai pas ma vie à tes huées – Je ne danserai pas sur ton tréteau banal – Avec tes histrions et tes prostituées..." Je le définis bien, je crois, si je vante en lui le plus symboliste des poètes symbolistes et le plus prestigieux imagier de notre langue, ce que feront impérissablement connaître, avec La Dame à la Faulx, des livres comme Les Reposoirs de la Procession, De la Colombe au Corbeau par le Paon, Le Chemin de ma vie [sic], etc.

Pour ne pas danser la "danse ordinaire aux scribes", il s'était retiré à l'extrémité de la falaise de Camaret, entre la mer et la lande, également tragiques, dans un petit manoir qu'il appelait Cœcilian, du nom d'un de ses deux fils, mort, voilà vingt-trois ans, à la guerre. Dans la société de sa fille, Divine, qui s'était toute consacrée à son grand enfant de père et faisait sa compagnie ailée des cormorans qu'elle élevait, il épuisait des jours dignes de lui. Il s'est éteint à l'âge de quatre-vingts ans, n'ayant jamais démérité de soi-même et portant hautement sa lucide pauvreté. Parce qu'il faut subsister pour vivre, il s'était astreint à des besognes obscures dont il méprisait de signer les produits. Il travailla quelque temps pour Pierre Decourcelle ; et deux ou trois des romans les plus achalandés de ce dernier sont de lui.

Combien savent que le livret de la "Louise" de M. Gustave Charpentier fut écrit par Saint-Pol-Roux ?

Quand j'eus appris le drame atroce auquel j'ai fait ici allusion, je tins à lui mander que je savais. Je lui écrivis seulement ceci, qui, pour lui comme pour moi, en disait plus que toutes les indignations et toutes les plaintes : "Mon cher grand, je t'embrasse". S'il a pu recevoir ces quelques mots, je sais qu'il aura compris.

Aujourd'hui, je m'afflige à considérer la dédicace si ancienne déjà, par laquelle il me fit l'honneur d'un exemplaire de La Dame à la Faulx. Elle est tracée d'une écriture magnifique à la Barbey d'Aurevilly ou à la Pierre Louÿs : "A Georges Pioch, chevalier du Meilleur, etc.".

Aux espoirs qu'ainsi il me dédiait, voilà trente ans, je mesure douloureusement la dérision finale de mes jours... Cher Saint-Pol, je t'envie si, comme écrit notre Leconte de Lisle, "tu goûtes la paix inconnue à la vie – et si la grande mort te couvre tout entier".

Georges PIOCH.

[L'OEUVRE, jeudi 24 octobre 1940]

dimanche 4 octobre 2009

Une anecdote de Carlos Larronde, à moins que d'Olivier-Hourcade, sur Saint-Pol-Roux

Il a beaucoup été question de Carlos Larronde dans le dernier BULLETIN des AMIS de SAINT-POL-ROUX. Et voilà, que quelques semaines après sa publication, je déniche deux numéros de La Revue de France et des Pays Français, rare publication co-dirigée par Larronde et Olivier-Hourcade, tout droit issue des non moins rares Marches du Sud-Ouest. Le titre de celle-là, comme de celle-ci, est explicite : il s'agit bien d'une revue "régionaliste", mais d'un régionalisme ouvert aux tendances les plus neuves de la capitale. Voici ce qu'en disaient, au seuil du premier numéro, les deux directeurs :
"Régionalistes nous sommes, et nous l'avons prouvé. Peut-être ne concevons-nous pas cependant la décentralisation comme ces jeunes faces bleues ou ces vieux crânes roses qui ne voient dans ce mot que prétextes à conférences dans tel salon parisien ou telle "Université boulevardière" sur la simplicité des moeurs rustiques de leur province natale, qu'ils vantent mais ne suivent pas.

Notre but sera de réveiller dans chaque région, dans chaque ville, et si nous en avons la force dans chaque bourgade, la vie intellectuelle, morale et économique originale qui y sommeille.

Faire connaître à chaque coin de France ses écrivains, ses artistes, ses savants, ses industriels même et lui apprendre les ressources parallèles, mais de qualité différente, des autres parties de la Patrie et les efforts de ceux qui travaillent pour nous, notre influence et notre gloire à l'étranger, voilà dans sa fière simplicité le but premier que se propose notre Revue et qu'elle atteindra, car les amitiés ne lui manqueront point."
Et les amitiés, effectivement, ne manquèrent point, puisque Larronde & Hourcade purent s'enorgueillir de recevoir le soutien et des textes de Claudel, Canudo, Tancrède de Visan, Emile Verhaeren, Henri-Martin Barzun, etc., pour les deux premières livraisons.


Je ne crois pas que Saint-Pol-Roux y collabora, bien que Larronde n'eût pas manqué, sans doute, de l'engager à le faire. Son nom n'est toutefois pas absent de la revue, et la quatrième de couverture du n°2 et 3 (Mars et Avril 1912) annonçait "pour paraître prochainement" aux Editions de "La Revue de France", une plaquette de Dorsennus, intitulée : Un poète Marseillais : Saint-Pol-Roux. Deux articles de Dorsennus (alias Jean Dorsenne), consacrés au Magnifique, paraîtront, l'un dans La Phalange, l'autre dans la Revue de France, mais l'étude ne vit pas le jour sous la forme initialement annoncée.

On retrouve Saint-Pol-Roux dans les "Echos" de la même livraison, héros d'une anecdote, non signée, mais qui doit être de Larronde, l'un des Bordelais présents, à moins que d'Hourcade, l'autre Bordelais :

UN GESTE DE SAINT-POL-ROUX

Ils étaient trois poètes, deux jeunes Bordelais et un grand Marseillais de Camaret. Ils causaient dans la rue de Constantinople. Ils s'arrêtent devant un atelier de modistes. Ces demoiselles rient derrière la vitre. Alors l'aîné des trois poètes... magnifique, entre dans la boutique proche d'une marchande de fleurs et revenant aux jeunes filles leur donne le bouquet de violettes qu'il vient d'acheter.

- Elles se moquaient de nous. Je leur ai montré comment se vengent les poètes.

samedi 3 octobre 2009