lundi 29 décembre 2008

SPiRitus S'entRetient avec Jacques Simonelli

SPiRitus S'entRetient avec

Jacques Simonelli
[Chroniqueur d’art, éditeur, a publié plusieurs titres de Georges Ribemont-Dessaignes, et les Voyages en kaléidoscope d’Irène Hillel-Erlanger aux éditions Allia. Dans le domaine romantique, il a édité les Lettres d’Algérie de Petrus Borel aux éditions de la Barbacane, les Mémoires et autres écrits de Pierre François Lacenaire, et Un roman pour les cuisinières d’Emile Cabanon à la librairie José Corti. Ses études sur l’inspiration alchimique chez Irène Hillel-Erlanger et Emile Cabanon se prolongent dans une série d’articles sur le romancier Maurice Fourré, confiées régulièrement au bulletin de l’AAMF (Association des Amis de Maurice Fourré, 10 rue Yvonne Le Tac, 75018 Paris). Il prépare une étude sur les fresques symboliques du monastère de Cimiez (Nice) et un livre d’artiste avec le peintre Jean-Jacques Laurent.]
SPiRitus : Vous souvenez-vous de votre première rencontre de lecteur avec la poésie de Saint-Pol-Roux ? Quel était le titre de l’œuvre, du poème, etc. ? Connaissiez-vous déjà, avant cette première lecture, son nom, son histoire, sa légende (si oui, comment ?) ?

Jacques Simonelli : J’ai connu la poésie de Saint-Pol-Roux à la fois par la belle anthologie d’Alain Jouffroy (1966), parée des prestiges novateurs du surréalisme, et par le Florilège paru en 1943, avec sa couverture à la corbeille de fleurs imprimée en vert sur fond blanc - blanc, autant que pouvait l’être le triste papier des années de guerre - et les illustrations de Méheut, rendues plus désuètes par la qualité médiocre du support. Ces deux livres, présentant sous des aspects si contrastés et des éclairages si différents un même poète, m’ont tout de suite rendu sensible le grand écart que manifeste l’œuvre de Saint-Pol-Roux, écart entre lui-même et la littérature, entre la Bretagne choisie (et combien, méridional que je suis comme Paul Roux, me touche ce choix : oui, Bretagne est Univers !) contre Paris où ses premières œuvres ne furent pas sans accueil, écart surtout entre les formes si variées de son écriture, des cimes les plus hautes du Symbolisme à des antiennes de gens de mer et de paysans que n’auraient pas reniées Morven le Gaélique.

Avant d’avoir lu ces livres, je ne savais du poète que ce qu’en disait, dans ses Entretiens, André Breton, auquel je dois, évidemment, bien d’autres lectures.

SPiR. : Qu’avez-vous éprouvé au cours de cette lecture ?

Jacques Simonelli : Ayant d’abord lu et relu les poèmes d’Anciennetés, la fascination que l’on éprouve à découvrir une mélodie nouvelle, dont les harmonies éveillent pourtant les échos d’une mémoire souterraine, puis l’admiration pour la richesse et la maîtrise verbales et - mais on l’a dit si souvent - la nouveauté des métaphores.

SPiR. : A ce jour, qu’avez-vous lu de son œuvre ? Quels sont les titres qui figurent dans votre bibliothèque personnelle ? Dans quelle édition, etc. ?

Jacques Simonelli : A part les deux choix de textes cités, et celui de Théophile Briant (collection Poètes d’aujourd’hui), je possède, et j’ai lu, les titres suivants :
  • Les Reposoirs de la procession, Mercure de France, 1893
  • La Dame à la faulx, Mercure de France, 1899, mention de deuxième édition (mon exemplaire appartenait au poète et critique belge Georges Marlow)
  • Anciennetés, Editions du Seuil, 1946
  • Les Reposoirs de la procession, Rougerie, 1980-1981 (trois volumes)
  • La Dame à la faulx, Rougerie, 1979
  • Le Trésor de l’Homme, Rougerie, 1970
  • Correspondance avec Victor Segalen, 1975
SPiR. : Quels sont, parmi ses ouvrages (parutions posthumes comprises), ceux que vous préférez ? Sauriez-vous dire pourquoi ?

Jacques Simonelli : Anciennetés, pour la perfection de l’ensemble du recueil. Les Reposoirs, qui contiennent quelques très beaux poèmes, me paraissent n’être pas toujours d’aussi haute tension, même si bien souvent « l’étincelle (y) jaillit du baiser des pôles contraires » (pour citer l’importante réponse du poète à l’Enquête sur l’Evolution littéraire, de Jules Huret, Bibliothèque Charpentier, 1891).

SPiR. : Pouvez-vous citer, pour les visiteurs du blog, quelques vers ou lignes de votre volume préféré ?

Jacques Simonelli :
La chevelure en pleurs à la façon des saules,
L’intruse se leva comme on sort de la mer
(La Magdeleine aux parfums)
Ou :
Le désert s’oubliait dans l’urne des margelles,
La palombe ramait par les ors du matin
(Lazare)
SPiR. : Quelle première œuvre conseilleriez-vous à un jeune homme ou à une jeune fille qui voudrait découvrir Saint-Pol-Roux ?

Jacques Simonelli : Le choix d’Alain Jouffroy.

SPiR. : Pouvez-vous nous raconter une anecdote personnelle, de lecture, de recherche, de chine, ou autre, où Saint-Pol-Roux joue un rôle important ?

Jacques Simonelli : Allant volontiers en Bretagne, j’ai souvent eu le désir, toujours contrarié par les circonstances, de me rendre à Camaret. Aussi ferai-je exprès le voyage, afin de saluer, en même temps que les tours d’Elven qui les préfigurent si étrangement, les ruines du manoir aboli, pour moi symbole de la destruction des formes sensibles du monde qui achève de s’opérer sous nos yeux, non plus « au seuil » mais au beau milieu « du marché de la Bêtise Humaine » ("Le panier de fruits", in La rose et les épines du chemin).

SPiR. : Comment définiriez-vous sa poésie ? Vous semble-t-elle « datée » ?

Jacques Simonelli : La poésie de Saint-Pol-Roux, comme il l’écrit lui-même, va « d’un reflux de siècles passés en un flux de siècles épanouis ». En perpétuel devenir, elle tend, d’orbe en orbe, vers l’universel. Datée certes (comment un texte ne le serait-il pas) par tels aspects de son écriture, elle dépasse en fait toute question d’époque, si elle débouche parfois (un peu comme certaines proses de Gaspard de la nuit) sur la suggestion d’un temps hors temps, dilaté au-delà de la durée ("Les deux serpents qui burent trop de lait", "Soir de brebis", le final de "Nocturne", dans De la colombe au corbeau par le paon).

SPiR. : Pensez-vous que son œuvre a pu influencer certains des mouvements du XXe siècle poétique ? Lesquels ? Dans quelle mesure ?

Jacques Simonelli : Le futurisme italien, pour l’exaltation de la technique, de la vitesse ("L’œil goinfre", La randonnée) – et c’est ce qui me touche le moins dans son œuvre, et bien sûr, le surréalisme, qui se réclame de son influence, pour sa conception de l’image poétique, « diamant extrait de deux contraires » et de l’inspiration comme « dictée intérieure » ("Le poète", in De la colombe au corbeau par le paon). Fait moins connu, un poème de lui figure dans le premier numéro du Grand Jeu, et Rolland de Renéville lui consacre une étude importante dans son Univers de la parole. Son influence sur des poètes ne participant à aucun mouvement est aussi sensible, par exemple dans les essais théâtraux de Victor Segalen.

SPiR. : Comment expliquez-vous le relatif silence qui entoure actuellement son œuvre ?

Jacques Simonelli : Son retrait volontaire de la vie littéraire, le fait qu’après le troisième volume des Reposoirs de la procession (1907), ses textes ne soient plus publiés qu’en Bretagne, de manière presque confidentielle, l’avaient déjà marginalisé. Depuis, l’esprit de routine, rétif à toute originalité formelle - et celle de Saint-Pol-Roux est grande, parfois déroutante - aura fait le reste.

SPiR. : Faites le « portrait chinois » du Magnifique.

Jacques Simonelli : 1. un animal : « Goéland : œil de corsaire ! » ("Oiseaux", in De la colombe au corbeau par le paon). - 2. un végétal : Fougère. - 3. une pierre (semi)précieuse : Sardoine. - 4. un objet : Lampe. - 5. un moyen de locomotion : Rapide. - 6. un lieu : Rochers sculptés de Rothéneuf. - 7. une couleur : Auburn. - 8. un parfum : Cèdre. - 9. un être mythologique : Protée. - 10. une heure du jour : Les deux crépuscules. - 11. un événement historique : La visite des Rois-Mages. - 12. un péché capital : Aucun. - 13. un sentiment : Amour (voir Germain Nouveau). - 14. un artiste : Adolphe Monticelli, ou, presque à l’opposé, César Franck. - 15. un vers : « A la matière même un verbe est attaché » (Nerval, Vers dorés).

SPiR. : Pour finir, à quelle question sur le poète ou son œuvre, non posée ici, auriez-vous aimé répondre ? Répondez-y.

Jacques Simonelli : L’alchimie traditionnelle fut-elle, pour le poète aux « mains philosophales » ("Midas", in Les féeries intérieures), sans cesse préoccupé de transmutations, un peu plus qu’une allégorie de l’acte poétique ? C’est ce que donne à entendre le titre du deuxième volume des Reposoirs de la procession, De la colombe au corbeau par le paon, qui ne peut qu’interpeller, et surprendre, l’amateur de littérature hermétique. En effet, si ces trois oiseaux que viennent judicieusement compléter les Coqs mercuriels (déjà présents dans "La diane" de La rose et les épines du chemin) sont des figures essentielles du bestiaire alchimique, l’œuvre progresse invariablement du corbeau à la colombe et de celle-ci vers le paon, dont les couleurs paraissent dans le régime de Mars, sixième des sept régimes planétaires de l’ultime coction. La modification de cet ordre, dans le titre même du livre, ne doit pas être dépourvue de signification. D’autres textes ("Le sexe des âmes", in La rose et les épines du chemin, ou "Le style c’est la vie", in De la colombe au corbeau par le paon) paraissent inspirés par la Kabbale, telle que l’exposaient Eliphas Lévi, Stanislas de Guaita ou le Sâr Péladan, aux activités « rosicruciennes » duquel Saint-Pol-Roux collabora. Une recherche des emprunts du poète aux doctrines ésotériques qui semblent avoir souvent nourri sa méditation, enquête trop vaste pour l’esquisser ici, ne serait sans doute pas vaine.
Nota : Pour lire les Entretiens précédents, cliquez ici.

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