lundi 22 décembre 2008

Petite histoire de l'Académie Mallarmé : les préparatifs...

J'entame aujourd'hui une série de billets qui retraceront, pas nécessairement de manière chronologique, l'histoire de l'Académie Mallarmé, dont Saint-Pol-Roux fut l'un des fondateurs puis, à la mort de Francis Vielé-Griffin, le deuxième président. Il y sera question des toutes premières années, qui sont celles qui nous intéressent, et, dans la mesure du possible, je m'effacerai pour laisser place aux documents et commentaires d'époque.

C'est à la suite du beau succès obtenu auprès du public par le Cinquantenaire du Symbolisme qu'Edouard Dujardin eut l'idée, avec quelques camarades, - au premier rang desquels : Jean Ajalbert & André-Ferdinand Herold -, de fonder une Académie Mallarmé, qui fût à la poésie ce que l'Académie Goncourt était pour le roman. Dès le 20 décembre 1936, le poète d'Antonia avait écrit à Saint-Pol-Roux pour le mettre au courant du projet et l'inviter à y participer :
"Nous comptons sur ton adhésion, cher ami ; on tâchera de t'avoir un permis pour que tu puisses venir participer à notre réunion de fondation l'année prochaine..."
Une semaine plus tard, le Magnifique répondait à son vieil ami qu'il pouvait compter sur lui. Et le 13 février 1937, André Billy divulguait, dans ses "Propos du Samedi" des pages littéraires du Figaro, la naissance imminente de l'Académie nouvelle :
Le 5 décembre dernier, j'annonçais ici que les poètes auraient bientôt, dans le département de Seine-et-Marne, leur maison de repos. Le Conseil général de ce département avait en effet, sur la proposition de MM. Pierre Mortier et Jacques-Louis Dumesnil, sénateur, voté une somme annuelle de vingt-cinq mille francs destinée à assurer la vie matérielle d'un vieux poète dans un domaine appartenant présentement à un écrivain dont je ne me croyais pas autorisé à dire le nom, domaine qui deviendrait la maison de repos des poètes, des poètes symbolistes de préférence.

Rien ne s'oppose plus aujourd'hui à ce que je sorte de la réserve qui s'imposait encore il y a deux mois. Disons donc que la propriété donnée au département de Seine-et-Marne, à charge pour lui d'y faire les frais d'un "lit" auxquels seront joints d'autres "lits" entretenus par d'autres bienfaiteurs, n'est autre que le Val-Changis d'Edouard Dujardin. Depuis trente-cinq ans tout ce qui compte dans la littérature symboliste, post-symboliste et même dans le roman et le journalisme, tous les pèlerins de Valvins ont passé sous les beaux ombrages du Val-Changis et dîné aux flambeaux dans la grande salle à manger au mur de laquelle s'enlève, peint par Anquetin, un nébuleux mais vraiment triomphal triomphe d'Apollon.

"Nous aurons probablement l'occasion d'en reparler, disais-je le 5 décembre en fin d'article. On m'assure qu'il s'agirait de quelque chose de mieux encore qu'une maison de retraite." J'étais en réalité plus précisément informé que je ne voulais en avoir l'air. Je savais qu'il s'agissait d'une Académie destinée à être à la poésie symboliste ce que l'Académie Goncourt a été, et qu'elle est encore, au roman naturaliste. Ce sera l'Académie Mallarmé. Sa réunion constitutive aura lieu vendredi prochain, 19 courant, dans un restaurant, autour d'une table généreusement servie. Là ne s'arrêtera pas d'ailleurs sa ressemblance avec l'Académie Goncourt. Elle décernera chaque année un prix, mais il est vrai que cette récompense sera purement honorifique et qu'au lieu d'aller à un jeune romancier d'avenir elle ira à un vieux poète méconnu.

Plus nombreux que les Dix, les membres de l'Académie Mallarmé seront quinze ; ce seront les Quinze. Ils ne sont pour le moment que douze, peut-être même que onze, car l'acceptation de l'un d'eux n'est pas certaine à l'heure où j'écris. Tous les douze, ils ont connu Mallarmé et se sont assis sous la suspension familiale, dans la légendaire salle à manger de la rue de Rome. Par rang d'âge, voici leur liste : Saint-Pol-Roux, Edouard Dujardin, Maurice Maeterlinck, Jean Ajalbert, Francis Vielé-Griffin, André Fontainas, Ferdinand Hérold, Albert Mockel, Francis Jammes, André Gide, Paul Valéry et Paul Fort.

On remarquera que cette liste comprend un membre de l'Académie française, un membre de l'Académie Goncourt, trois Belges et un Américain du Nord. D'où il est permis de conclure déjà que chez les Quinze ne règnera pas un exclusivisme jaloux. L'Académie Mallarmé aura l'esprit large et accueillant.

Les douze participants de l'assemblée constituante auront à élire, l'automne prochain, les trois collègues qui leur manquent encore afin que leur nombre effectif soit porté à quinze, mais ils ne se croiront pas obligés d'aller les chercher parmi les anciens familiers de la rue de Rome et de la petite maison de Valvins. Ils pourront choisir trois poètes n'ayant pas connu Mallarmé. A MM. Robert de Souza et Camille Mauclair, ils pourront préférer M. Royère, par exemple. Je ne sais si le nom de M. Paul Claudel a été mis en avant. C'est probable. Mais M. Claudel accepterait-il ? Au surplus, les candidats ne manqueront pas, on peut être tranquille à ce sujet. Encore devront-ils remplir cette condition essentielle d'être, moralement du moins, sinon esthétiquement, dans la pure tradition mallarméenne ; ils devront avoir été, par leur vie comme par leur oeuvre, des exemples de désintéressement et de dévouement à la cause de l'Art et de la Poésie.

L'Académie Mallarmé ne se réunira pas obligatoirement à la maison de repos du Val-Changis, à Avon ; elle y sera néanmoins chez elle, car cette maison de retraite sera placée sous son patronage.

Comme on le voit, les Quinze ne se donnent pas pour plus jeunes qu'ils ne sont et l'idée de retraite et de repos ne leur fait pas peur. Ils sont parfaitement décidés à ne pas prendre en mauvaise part les plaisanteries faciles que les échotiers ne manqueront pas de faire sur leur moyenne d'âge, plus élevée sans doute que celle de l'Académie Goncourt. Ils auront raison. La vie académique a pu, autrefois, s'accomoder de la jeunesse ; c'était quand les académies travaillaient et qu'on exigeait d'elles une certaine activité intellectuelle. Il n'en est plus ainsi. Le rôle des académies est devenu simplement décoratif. Aussi ne sommes-nous point partisans du rajeunissement de l'Académie française. Nous réclamons au contraire son vieillissement et souhaitons de ne plus y voir jamais entrer des écrivains aussi jeunes que Jacques de Lacretelle. Il faudrait que tous ceux qui entrent à l'Académie fussent assez âgés pour ne pouvoir courir le risque d'y vieillir prématurément.
André Billy.
Quelques petits commentaires : l'article d'André Billy reprend, en les développant, les informations que Dujardin avait communiquées le 20 décembre 1936 à Saint-Pol-Roux ; on peut donc supposer que le journaliste avait été mis au parfum par l'auteur des Lauriers sont coupés lui-même. Certains détails sont néanmoins suspects et semblent inventés ou extrapolés par André Billy : la maison de repos du Val-Changis était destinée aussi bien au poète retraité qu'au jeune poète fatigué, et non au seul usage du premier ; le prix devait bien être doté et son lauréat, contrairement à ce qu'affirme l'article, désigné parmi les poètes ayant publié un recueil au cours de l'année, jeune plein d'avenir ou vieux méconnu. En ce qui concerne Claudel, il avait bien été pressenti pour faire partie des fondateurs : dans sa lettre dactylographiée à Saint-Pol-Roux, Dujardin avait ajouté son nom à la main, entre Mockel et Gide. Celui dont l'acceptation n'était pas certaine à l'heure où Billy écrivit ces lignes, c'était Francis Jammes, qui fera d'ailleurs faux bond à ses amis symbolistes. Mais il ne sera pas le seul...

(A suivre)

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