lundi 31 mars 2008

Jean ROYERE : Essai de Bibliographie

A Vincent Gogibu, résurrecteur.

Jean Royère, parmi les contemporains de Saint-Pol-Roux, fut sans doute l'un des plus fidèles et des plus dévoués. A ce titre, il mérite une place à part sur le blog. Je lui consacrerai plusieurs billets. Voici le premier. Je l'ai dit, Royère dirigea plusieurs petites revues d'importance : les Ecrits pour l'Art, la Phalange, le Manuscrit autographe ; mais il collabora à bien d'autres et il serait bien difficile, tant elles sont nombreuses, de répertorier l'ensemble de contributions qui couvrent la première moitié du XXe siècle. Qui sait, mon goût pour ce genre de recherches me poussera peut-être un jour à relever ce défi ? En attendant, je livre ici un essai de bibliographie chronologique des volumes publiés par le poète et critique. On y trouvera une unité et – pourquoi pas ? – le sentiment d'une œuvre mésestimée.


BIBLIOGRAPHIE DES OEUVRES DE JEAN ROYERE


  • Exil Doré, Léon Vanier, Libraire-Éditeur, Paris, 1898. [104 pp. – 19 cm – Imprimerie de Saint-Denis – H. Bouillant]. Poésies. Dédicace imprimée : « A la mémoire de mon frère je dédie ces vers qu'il aimait. J.R. » Tirage non précisé et pas de grand papier annoncé. Il s'agit de son premier recueil. Bien que les vers y soient mesurés, l'influence symboliste s'y fait nettement sentir. Des poèmes sont dédiés à Puvis de Chavannes, Henri de Régnier, José Maria de Hérédia, Anatole France, Albert Thibaudet. Mon exemplaire porte, sur la page de faux-titre, un envoi autographe : « A M. A Got pour le remercier de sa lettre charmante ce livre de jeunesse. Jean Royère. Paris 6 octobre 1924 » [Armand Got, poète bordelais, fut l'auteur d'anthologies pour les enfants, sous le titre de L'Arc en Fleurs ; les symbolistes y occupaient une belle place]


  • Eurythmies, Librairie Léon Vanier, Editeur (A. Messein, Succr), Paris, 1904. [In-8 de luxe – 72 pp. – 21,2 cm – Saint-Amand (Cher) – Imprimerie Bussière]. Tirage non précisé. Pas de grand papier annoncé. Poèmes. Les Eurythmies, dédiées « A mes amis Henry et Georges Ghika » sont précédées d'un Avant-dire dans lequel Royère revendique sa filiation mallarméenne : « Le Poète avoue volontiers qu'une collaboration décente avec Stéphane Mallarmé – lequel par malheur je n'ai pas connu – l'induisit à prolonger au-delà de l'œuvre choisie le jeu émouvant de sa lecture en combinant – parée d'une grâce neuve et sans plus se souvenir de l'aurore que s'il se fût évadé en un midi supra terrestre – une Poésie qui contraignît le lisant à autant d'initiative que l'Ecrivain, l'arrachant à cette route royale du verbe qui se déroule fertile et plate dans l'unanime majesté du paysage… ».


  • Sœur de Narcisse nue, Editions de La Phalange, Paris, 1907. [In-12 – 80 pp. – 17, 5 cm – Achevé d'imprimer par la librairie Bonvalot-Jouve le 17 novembre 1907]. Poèmes. Tirage non précisé. Il a été tiré de cette plaquette 50 exemplaires sur papier de Hollande numérotés de 1 à 50 (prix de l'exemplaire sur Hollande : 10 francs). Dans la préface du recueil, Royère définit une nouvelle fois sa poétique et défend son néo-symbolisme : « Je déclare que je ne me soucie pas outre mesure du clair génie français. Ma poésie est obscure comme un lis. Pour moi, l'Art est sensible. Or le jugement analytique laisse hors de lui la sensation, le sentiment et l'image qui n'est pas métaphore. » Mon exemplaire, qui provient de la bibliothèque de Pierre Cheymol (ex-libris gravé) est agrémenté d'un envoi : « A mon jeune confrère et ami Pierre Charles en témoignage de ma gratitude sincère et de ma vive amitié. Jean Royère 4 mai 1922. »


  • Par la lumière peints, Editions Georges Crès & Cie, Paris, 1919. [In-12 – 100 pp.]. Il a tiré de ce recueil 5 exemplaires sur vieux Japon et 20 exemplaires sur vélin du Marais, seuls grands papiers. Poèmes.

  • La poésie de Stéphane Mallarmé, Emile-Paul frères, Paris, s.d. (1919). [In-12 – 24 pp.]. Il s'agit de l'édition d'une conférence prononcée par Jean Royère le 14 novembre 1919 au théâtre de la Renaissance. Petit tirage. [On trouve sur le site des Amateurs de Remy de Gourmont une numérisation de la couverture ou de la page de titre de la plaquette ornée d'un bel envoi de Royère à Jean de Gourmont]


  • Quiétude, Emile-Paul frères, Paris, 1923. [In-8 – 50 pp. – Imprimerie Chaix (Paris)]. Poésies. Il a été tiré de cet ouvrage 30 exemplaires (I-XXX) sur papier vergé d'Arches et 500 exemplaires (1-500) sur papier d'alfa. Dédicace imprimée : « Je dédie ce livre à ma femme Marie Royère ». 25 ans après son premier recueil, Royère est resté fidèle à sa vision ; il s'en explique à nouveau dans la préface : « Les quinze premières pièces de Quiétude datent de 1902, époque où le Symbolisme, inclinant de plus en plus vers le didactisme, annonçait le Classicisme actuel. M'orientant en sens contraire, dès ce moment, je fis effort pour replacer notre art dans sa voie qui est celle de la poésie pure. Il m'a donc fallu, à mes débuts, refonder le Symbolisme contre le symbole, car le symbole est didactique et, partant, classique… ». Signalons, parmi les poèmes les plus récents, « Lendemain » et « Thrène de l'enfance », tous deux dédiés à Guillaume Apollinaire. Dans la liste des ouvrages du même auteur, est annoncé sous presse : Clartés sur la poésie. A mon exemplaire était jointe une carte de visite de Royère agrémentée de l'envoi : « au maître animalier Jean Renaud ».


  • Poésies (Eurythmies, Sœur de Narcisse nue, Par la lumière peints…, Quiétude), Librairie Edgar Malfère, Bibliothèque du Hérisson, Amiens, 1924. [In-12 – 192 pp. – 18,5 cm – Achevé d'imprimer le 12 mai 1924 par F. Paillart à Abbeville]. Il a été tiré de ce volume 20 exemplaires sur Madagascar, numérotés de 1 à 20 ; 30 exemplaires sur Lafuma pur fil, numérotés de 21 à 50 ; 2000 exemplaires sur Vélin alfa français des papeteries de France. Dédicace imprimée : « A ma femme ». Compilation des quatre précédents recueils. Exil Doré, œuvre de jeunesse, n'a pas été recueilli. A la différence des publications originales, presque tous les poèmes portent ici une dédicace imprimée : à Jules Supervielle, Jean Paulhan, Henri Mazel, Sébastien Charles Leconte, Tristan Klingsor, Marie Laurencin, René Ghil, Alexis Tarquis, Charles-Adolphe Cantacuzène, André Fontainas, Jean de Gourmont, André Gide, André Spire, Albert Mockel, Fernand Mazade, André Breton, Fernand Divoire, Saint-Pol-Roux (2 poèmes), Valéry Larbaud, Paul Adam, Robert Randau, Henri Hertz, John Antoine Nau, Marius Ary Leblond, Henri de Régnier, Joseph Delteil, Paul Fort, Robert de Souza, Lucien Descaves, Paul Valéry, Gustave Geffroy, Guy Lavaud, Louis Mandin, Guillaume Apollinaire, Louis de Gonzague Frick, Félix Fénéon, Albert Thibaudet, Henri Strentz, etc. Toujours annoncé « sous presse » : Clartés sur la Poésie.


  • Clartés sur la Poésie, Albert Messein, Editeur, collection LA PHALANGE (dir. : Jean Royère), Paris, 1925. [In-16 – 224 pp. – 19 cm – Saint-Amand (Cher) – Imprimerie Bussière]. Il a été tiré de cet ouvrage 10 exemplaires sur Chine, 15 exemplaires sur Vergé d'Arches, 1500 exemplaires sur Vélin, tous numérotés. Si l'on excepte la conférence sur Mallarmé et les avant-dire, c'est le premier véritable exposé critique et doctrinal de Royère. « Je suis donc arrivé à me persuader que la poésie est une répétition et une catachrèse et que l'élément essentiel en est la catachrèse, figure fondamentale, inséparable elle-même de la phrase que je définis « la pensée verbale ». Elle est l'âme de la poésie. La répétition en représenterait plutôt le corps, étant l'élément principal du langage concret. Tel est le symbolisme ou mysticisme verbal auquel m'ont conduit vingt-cinq ans de littérature. », écrit-il dans sa préface. Les ouvrages ultérieurs approfondiront et développeront ce principe, progressivement mué en musicisme.


  • LES TROIS, L'Initiation de Reine Dermine, roman, Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle éditeur, Paris, 1925. [In-8 - 222 pp.]. Il s'agit d'un roman à clefs écrit à trois mains, celles d'Albert Lantoine, Robert Randau et Jean Royère, qui fait la satire du petit monde des gendelettres.

  • Baudelaire Mystique de l'Amour (Etude suivie d'une classification nouvelle), chez Edouard Champion, Paris, 1927. [In-8 – 242 pp. – 16,5 cm x 22 cm – couverture rempliée – Ce livre a été imprimé par Maurice Darantière à Dijon en décembre M.CM.XXVI]. Il a été tiré de ce livre 7 exemplaires sur vieux Japon numérotés de 1 à 7, 30 exemplaires sur Madagascar numérotés de 8 à 37, et 660 exemplaires sur Vélin pur fil Lafuma numérotés de 38 à 697. Dédicace imprimée : « Je dédie ce livre au pur poète Armand Godoy en témoignage de notre commune ferveur pour Baudelaire ». Avec Mallarmé, Baudelaire fut l'inspirateur principal de Royère. Le poète Armand Godoy, d'origine cubaine, possédait une collection impressionnante de manuscrits de Baudelaire et de documents relatifs au poète des Fleurs du Mal ; Royère y puisa pour rédiger son étude. Est annoncé « sous presse » : Mallarmé, précédé d'une Lettre à Jean Royère, par Paul Valéry, chez Simon Kra.


  • Mallarmé, précédé d'une Lettre à Jean Royère, par Paul Valéry, Simon Kra, Paris, 1927. [In-8 – 142 pp.]. L'édition originale a été tirée à 600 exemplaires, dont 40 exemplaires sur papier Japon numérotés de 1 à 40, 40 exemplaires sur Hollande numérotés de 41 à 80, et 520 exemplaires sur Vélin numérotés de 81 à 600. L'ouvrage connaîtra une réédition chez Albert Messein en 1931, agrémenté d'une seconde préface.

  • Poèmes d'amour de Baudelaire. Le génie mystique. Avec des documents nouveaux, Albin-Michel, Paris, 1927. [In-8 – 252 pp. + 10 planches hors-texte en noir]. Il a été tiré de l'ouvrage 40 exemplaires sur papier de Hollande et 110 exemplaires sur Vélin pur fil Lafuma (seuls grands papiers ?). Complément de l'ouvrage précédent consacré à Baudelaire.

  • Ô Quêteuse, voici !, Simon Kra, Paris, 1928. [grand in-8 – 64 pp. – 17 cm x 23,5 cm – Achevé d'imprimer le 10 mars 1928 pour les éditions Kra, 6, rue Blanche à Paris, sur les presses de F. Paillart à Abbeville]. Il a été tiré de cet ouvrage 5 exemplaires sur papier impérial du Japon, numérotés de 1 à 5 ; 20 exemplaires sur Hollande van Gelder Zonen, numérotés de 6 à 25 et 500 exemplaires sur Vélin, numérotés de 26 à 525. Dédicace imprimée : « A Marie ». Royère renoue avec la poésie cinq ans après son dernier recueil. Des poèmes y sont dédiés à Marie (sa femme), à Armand Godoy, Robert Randau, Paul Valéry, Francis Jammes. En ma possession : un exemplaire, sur Hollande van Gelder Zonen (mais non numéroté, probablement hors-commerce et exemplaire d'auteur), porte l'envoi autographe : « A mon cher Albert Thibaudet que j'admire et que j'aime depuis trente-quatre ans ! son Jean Royère » ; exemplaire n°124, sur Vélin, avec envoi autographe à Louis de Gonzague Frick : "O très cher Louis de Gonzague Frick voilà mon dernier né vous l'aimerez puisque vous m'aimez Jean Royère".


  • Le Musicisme (Boileau – La Fontaine – Baudelaire), Albert Messein, collection LA PHALANGE (directeur : Jean Royère), Paris, 1929. [In-16 – 188 pp. – 13,5 cm x 19 cm – Saint-Amand (Cher) – Imprimerie Bussière – 17-12-1929]. Il a été tiré de ce livre 10 exemplaires sur papier de Chine, numérotés de 1 à 10 ; 25 exemplaires sur papier vergé d'Arches, numérotés de 11 à 35 ; et 1500 exemplaires sur vélin bouffant, numérotés de 36 à 1535. Dédicace imprimée : « A Paul Gsell et Valéry Larbaud ce livre est affectueusement dédié ». La fréquentation de Godoy ne fut sans doute pas pour rien dans l'invention du musicisme, théorie de la poésie pure, dont ce second tome des Clartés sur la Poésie constitue en quelque sorte l'historique. Annoncé « à paraître » : Denise (poèmes).


  • Denise, poèmes. Bois dessinés et gravés par Jean-Paul Dubray, Marcel Seheur Editeur, Paris, 1931. [In-8 – couverture rempliée – 74 pp. – 15,5 cm x 20 cm – Achevé d'imprimer le 4 juin 1931 sur les presses de Marcel Seheur, imprimeur, 10, rue Tourlaque, à Paris]. Cet ouvrage, constituant l'édition unique, a été strictement limité à 175 exemplaires, dont 25 sur Japon et 150 sur vélin d'Arches, et réservé aux seuls souscripteurs. Magnifique recueil de poèmes écrits sous l'emprise des yeux de Denise, la petite-fille du poète. La poésie familiale s'y mêle à la poésie pure, sublimant l'enfant en symbole de la création poétique. Annoncés « sous presse » : Mallarmé (nouvelle édition, augmentée) chez A. Messein ; et « à paraître » : Le Musicisme, tome II (chez le même éditeur) et Frontons (aux Editions Seheur). Mon exemplaire, hors commerce, en plus d'un ex-libris gravé, comporte cet envoi autographe : « A Jean Desthieux au poète fervent de tout cœur. Jean Royère Paris le 25 juillet 1931 ».


  • Mallarmé, précédé d'une Lettre sur Mallarmé de Paul Valéry, Albert Messein, Editeur, collection LA PHALANGE (directeur : Jean Royère), Paris, 1931. [In-16 – 192 pp. – 13,5 cm x 19 cm – Achevé d'imprimer le 5 octobre 1931 sur les presses de R. Bussière à Saint-Amand (Cher)]. Il a été tiré de ce livre 10 exemplaires sur papier de Chine, numérotés de 1 à 10 ; 25 exemplaires sur papier vergé d'Arches, numérotés de 11 à 35 ; et 1500 exemplaires sur vélin bouffant, numérotés de 36 à 1535. Dédicace imprimée : « A ma femme ». Annoncés « à paraître » : Frontons (Chez Seheur). Sous presse ; Le Musicisme et la Vie (Tome II du Musicisme de la Collection La Phalange. A. Messein, éd.). Mon exemplaire (n°191) porte un envoi autographe : « A Mademoiselle Charlotte Riveau très amicalement Jean Royère ».


  • Frontons (Première Série) Baudelaire – Verlaine – Renan – Mallarmé – Signoret – Gasquet – Nau – Ghil – De Faramond – Gide – Jammes – Valéry – Cantacuzène – Apollinaire – Larbaud – Godoy, Editions Seheur, collection « Masques et Idées », Paris, 1932. [In-12 – couverture rempliée – 226 pp. + illustrations hors-texte – 13 cm x 17,5 cm – Achevé d'imprimer le 15 janvier 1932, sur les presses de Marcel Seheur, éditeur]. Cet ouvrage, le sixième de la collection « Masques et Idées », a été tiré à 1750 exemplaires numérotés. Pas de grand papier annoncé. Recueil d'études conçu comme « une suite à Clartés sur la Poésie et au Musicisme ». Annoncés « à paraître » : Le Musicisme, tome II & Frontons, nouvelle série. En ma possession, deux exemplaires : le n°1478 comporte un envoi autographe : « A mon ami A. Bilis très cordial hommage Jean Royère » ; le n°844, provenant de la bibliothèque de Michel Décaudin, est agrémenté d'un envoi de l'auteur : "A mon cher Eugène Montfort au bel écrivain et à l'ami son fervent et fidèle Jean Royère Paris le 9 avril 1932".


  • Le Musicisme Sculptural (Madame Archer Milton Huntington). Trente-deux reproductions en photogravure, Albert Messein, Editeur, collection LA PHALANGE (directeur : Jean Royère), Paris, 1933. [In-16 – 200 pp. – 13,5 cm x 19 cm – Achevé d'imprimer le 20 octobre 1933 par l'Imprimerie Maurice Benoist, 63, rue du Château, Paris (14e) pour le compte de Albert Messein, Editeur]. Il a été tiré de ce livre 10 exemplaires sur papier de Chine, numérotés de 1 à 10 ; 25 exemplaires sur papier vergé d'Arches, numérotés de 11 à 35 ; et 1500 exemplaires sur vélin bouffant, numérotés de 36 à 1535. Dédicace imprimée : « Aux Dames artistes des Etats-Unis ce livre est dédié J.R. ». Il s'agit du tome second du Musicisme. Royère applique sa théorie à la sculpture. Ça n'était probablement pas l'objet du volume précédemment annoncé, mais la découverte des poèmes d'Archer Milton Huntington puis des travaux de sa femme poussèrent sans doute Royère à réviser son projet initial. Mon exemplaire (n°1097) comporte un envoi autographe : « A mon camarade et ami Henri Duvallon très cordial hommage Jean Royère ».


  • El Musicismo Sculptural, traduction espagnole de Carlos Deambrosis Martins, M. Aguilar, Editeur, Madrid, 1933.

  • Il Musicismo Scultorio, traduction italienne de Mme Alda Rizzi, Albert Messein, Editeur, collection LA PHALANGE (directeur : Jean Royère), Paris, 1933.

  • Le Musicisme Sculptural. Nouvelle édition augmentée d'un chapitre préliminaire, Albert Messein, Editeur, collection LA PHALANGE (directeur : Jean Royère), Paris, 1934.

  • Le Point de vue de Sirius, Albert Messein, Editeur, collection LA PHALANGE (directeur : Jean Royère), Paris, 1935. [In-16 – 200 pp. – 13,5 cm x 19 cm - Saint-Amand (Cher) - Imprimerie R. Bussière - 11-6-1935]. Critique. Il a été tiré de cet ouvrage 10 exemplaires sur papier de Chine, numérotés de 1 à 10 et 15 exemplaires sur papier vergé d'Arches, numérotés de 11 à 25. Ce recueil de gloses parues dans le Manuscrit autographe est dédié "à mes amis Auguste et Georges Blaizot / en souvenir de notre collaboration".


  • Orchestration, Albert Messein, Editeur, collection LA PHALANGE (directeur : Jean Royère), Paris, 1936. [In-16 – 96 pp. – 13, 5 cm x 19 cm – Saint-Amand (Cher) – Imprimerie Bussière – 25-5-1936]. Poésies. Il a été tiré de cet ouvrage 15 exemplaires sur Chine, numérotés de 1 à 15 et 25 exemplaires sur Arches, numérotés de 16 à 40, seuls grands papiers. Dernier recueil de Royère, il rassemble la production poétique qui a suivi la parution des Poésies chez Malfère. Les trois premiers poèmes sont des poèmes musicistes, dont l'un est dédié à Saint-Pol-Roux. Mon exemplaire (n°176) comporte un envoi autographe effacé.


  • En Avignon, Editions du Clown Lyrique, Paris, MMVIII. [plaquette – 16 pp. – 11 cm x 18 cm – Achevé d'imprimer sur les presses de Lussaud, en décembre 2007]. Il a tiré, de ce texte originellement paru dans Frontons, 300 exemplaires sur papier de création. Les 25 premiers comportent une épreuve en sanguine du frontispice tirée sur vergé, et portent les initiales des éditeurs Vincent Gogibu et Nicolas Malais.


  • Jean ROYERE & André GIDE - "Votre affectueuse insistance" : Lettres (1907-1934), réunies, annotées et présentées par Vincent Gogibu, Editions du Clown Lyrique, Paris, MMVIII [154 pp. - 14 cm x 21 cm - Imprimé en décembre 2008 sur les presses de Lussaud]. Il a été tiré 30 exemplaires sur papier vert anis, numérotés, signés et agrémentés d'un tiré à part du portrait de Jean Royère.

  • lundi 24 mars 2008

    Une invitation à la ballade : Paul "Fort comme un poète" par Eric Poindron

    Dans la maison d'Eric Poindron, grand'ouverte à toutes les curiosités, il y a des bouquins, des boussoles, des coups de vent du Tonkin, des chimères au regard qui affole, des momies écrivant des mots doux, l'oeil de verre d'une authentique grand-mère, de vieux grimoires de magie noire, un moine de Cordoue, un cercueil vide et des terre-pleins, la salamandre s'accouplant au tamanoir, une colombe sombre et un corbeau candide, les cendres du phénix, une très lourde armoire, des spectres qui chuchotent dans un coin d'ombre, maints ptyx, des fées virides dans des bocaux gardés par des mantes religieuses défroquées, le sceptre d'un squelette, d'étranges airs oubliés et lointains, quelques bonbons croqués, d'éblouissantes mains de gueuses, les langes du petit Jésus, des nuits blanches repliées, des ailes d'ange, des bossus aux pieds liés, et bien d'autres choses encore, dans la maison d'Eric Poindron, où tout se passe comme du coq-à-l'âne... et dont je reviens avec un souvenir du maître des lieux, un paulfort beau souvenir, que je dépose dans ma maison à moi.


    PAUL FORT COMME UN POETE
    Je n'étais qu'un petit poète (...) je voyais des fées partout.
    Paul Fort.
    "La, la, la, et là, il y a des fées autour de moi ! Do, ré, mi, il y a des fées dans ma vie, do Remi ré, il y a des fées dans ma cité..."

    En 1878. C'est un enfant qui joue près d'une cathédrale en couleurs, dans une petite rue du Clou dans le fer, exactement... Entre l'enfant et la cathédrale, il y a un cerf-volant.

    C'est un gars du monde fredonnant qui enchante. Petit comme on l'est à six ans, pinson comme un enfant. Rue du Clou dans le fer... Petit Paul, c'est un garçon comme le printemps.

    A l'Est, à Reims, un provincial, enfant comme un poète, joue à saute-mouton dans une ruelle pavée de bonnes intentions. Si l'enfant levait les yeux au ciel, il attraperait le pigeon bleu, les tours de cathédrale et le vent rouge qui file comme une chanson.

    Rue du Clou dans le fer, sur le mur gris, à la craie blanche quelqu'un a écrit...

    "Le poète n'a pas besoin d'apprendre à écrire La poésie raconte les enfants qui jouent Le poète est un enfant qui joue La poésie est un carillon Le poète croit aux fées, Les fées, rien que les fées, L'enfant aussi"

    L'enfant qui ne sait pas lire s'arrête et lit, Puisqu'il est poète.

    Il chante car il est heureux l'enfant.

    L'enfant joue sa mère l'appelle Il sourit.

    - On va partir, dit la mère... à Paris... Tu es grand maintenant. C'est pas vrai, l'enfant est tout petit.

    - Tu verras, c'est beau, c'est grand Paris...

    L'enfant qui grandit va vite grandir.

    Plus de cathédrale, de bleu, de rouge et de mots blancs sur le mur se dit l'enfant. Paris, ça a beau être grand, c'est trop grand...

    "Les mots, emporte-les, c'est pour toi."

    - Qui a parlé ? - C'est moi, la fée à laquelle tu crois... - Comment vous le savez ? - Parce que je suis une fée. - Je ne vous crois pas. - Ne grandis pas si vite, crois-moi plutôt.

    Alors l'enfant s'approche et découvre la fée, sur le clou. Rue de la fée sur le Clou dans le fer. Ça existe quand on veut... Et comme l'enfant veut...

    - Emporte les mots en voyage. Remplis tes poches... prends en des poignées et jette-les sur les murs. A Paris. - J'ai le droit ? - Tu as tous les droits. Un poète pupille, ça pille puis ça éparpille. Crois en toi comme tu crois en moi. Je serai Urlurette, et tu seras l'hurluberlu. Tu seras le poète, je serai la fée savante. Tu seras un poète intégral comme l'écrira un poète... Je serai ta servante, tu seras le prince des poètes... officiel.

    Puis, la fée a écrit ces derniers sur le mur de printemps. Chaque jour qui passe, tu seras un peu plus poète et ce ne sera pas ta faute...

    Loin de la rue du Clou dans le fer, l'enfant a fini par grandir, puis s'est arrêté. Ensuite il est devenu vieux... Entre-temps, il a continué à devenir poète. Tout le temps, à plein-temps. Prince des poètes et poète intégral. A Paris... Plein de livres, remplis, de cerfs-volants de cathédrales et de fées...

    La fée ! Personne n'a su s'il l'avait oubliée...

    Des spécialistes ont dit : "dans ses livres, il y avait quand même beaucoup de fées. Des fées !" Les autres, les "pas spécialistes" ont dû penser qu'il les avait inventées...

    Puis d'avis de tous, le temps a encore passé...

    Ici, le temps qui passe comme les anges de cathédrale... fiche le camp comme cerf-volant.

    En 1958. A Reims, Rue du Clou dans le fer...

    Les enfants cassent les jouets, mais les adultes cassent beaucoup plus.

    Les villes, les cathédrales et même les perchoirs à fées. Un vieux monsieur se penche sur le clou comme d'autres sur le passé.

    Plus rien.

    Il écrit :

    "Chaque jour qui passe, je suis un peu plus poète... Et ce n'est pas ma faute..."

    Seulement un vieux monsieur. Le petit Paul. A Reims, car ça se passait à Reims et personne ne l'a su. Pensez... Un poète, ça n'intéresse personne. Attention, c'était un poète célèbre. Alors ça aurait pu intéresser ceux qui ne s'intéressent à rien. Il a réussi à Paris. A Paris, vous savez, mais il est d'ici !

    Puis petit Paul est parti, vieux comme tout. Puis il est mort. Deux ans après. Comme tous les poètes qu'on dit immortels.

    Aujourd'hui, sur le mur, sous le Clou dans le fer, un enfant a écrit : "Ici naquit Paul Fort qui croyait aux fées et à la poésie."
    Eric Poindron.
    N'oubliez pas, lorsque vous irez hanter le cabinet de curiosités, de retirer, à l'entrée, l'étrange questionnaire, et de vous égarer dans la bibliothèque...

    mercredi 19 mars 2008

    Et l'auteur-mystère est...

    Jean ROYERE
    (1871-1956)

    Félicitations magnifiques & vives à Zeb, notre ami de Livrenblog,
    qui découvrit l'identité du poète du "Faune".


    Le sonnet dédié à Henri de Régnier fut extrait d'Exil Doré, premier recueil de Royère, qui parut chez Léon Vanier en 1898.


    Notre poète débutait en poésie l'année où Mallarmé mourut et, avec lui, une certaine idée du symbolisme. Doit-on y voir un signe pour celui qui déclara, au seuil de son troisième livre, Soeur de Narcisse nue (Editions de La Phalange, 1907) : "Ma poésie est obscure comme un lis" ? La formule marqua suffisamment les esprits contemporains pour qu'elle le suivît jusqu'à sa mort et qu'André Breton la répétât dans ses Entretiens, parlant à André Parinaud de Royère, qui fut l'une de ses premières rencontres littéraires décisives.


    Si aujourd'hui les vers de Jean Royère sont oubliés - bien à tort -, pour des raisons que j'exposerai bientôt, l'histoire littéraire se souvient néanmoins du brillant animateur de revues. Il créa la Phalange, petite revue de grande importance, qu'il dirigea entre 1906 et 1914 et qui ressuscita, moins inspirée, entre 1936 et 1939. Mais les phalanges, pour pointer un doigt complet, vont par trois, et ce fut également une collection d'ouvrages, également dirigée par Royère, chez Albert Messein, de 1924 à 1939.


    Critique lucide, ouvert aux tendances nouvelles, il resta fidèle au mouvement qui, jeune lecteur, l'avait ébloui, et devint, à l'aube du XXe siècle, chef de file du néo-symbolisme. Il consacra de beaux ouvrages à deux de ses maîtres : Mallarmé (en haut) & Baudelaire (au centre, à gauche). Avant de créer la Phalange, il avait, avec la bénédiction de René Ghil (au centre), relancé les Ecrits pour l'art (1905-1906). C'est sans doute là qu'il s'éprit de la poésie de John Antoine Nau (au centre à droite), premier prix Goncourt pour Force ennemie (1903), qui y donna les magnifiques poèmes de Vers la Fée Viviane. Fidèle en amitié, Royère ne cessera de promouvoir le génie de Nau, comme celui d'Armand Godoy (en bas, à gauche), découvert bien plus tard, à la fin des années 1920. La Phalange fut une famille, avait coutume de dire notre auteur; et quelle famille ! Royère y devint l'ami d'Apollinaire (en bas, au centre), y lança Valery Larbaud (que Léon-Paul Fargue, par quelque magie, remplace sur le montage photographique), et y publia les premiers poèmes, encore empreints de symbolisme, du très jeune André Breton (en bas, à droite). Voilà qui fait rêver...

    J'aime la poésie de Jean Royère, que j'ai découverte grâce à mes recherches sur Saint-Pol-Roux. Car le Magnifique et le poète d'Exil Doré furent amis, mieux encore, frères, d'une fraternité toute poétique. Originaires de Provence, la passion de la lumière avait sans doute rapproché ces deux exilés du septentrion. Il me plaît beaucoup que Vincent Gogibu & les éditions du Clown Lyrique aient choisi de publier sous forme d'une jolie plaquette, en préambule à des parutions plus importantes, cet "En Avignon" solaire de Jean Royère, qui, originellement constituait l'un des chapitres de Frontons (Seheur, 1932), consacré à Emmanuel Signoret. Cela me plaît : voici l'ombre du beau Jean Royère qui passe...


    Et je suis ravi d'offrir à Zeb, pour avoir découvert l'identité de l'auteur-mystère, l'un des 300 exemplaires, sur papier de création, de cette plaquette charmante, et d'y joindre, pour avoir trouvé le titre du recueil, un numéro du Manuscrit autographe, autre belle revue, créée et dirigée par Jean Royère de 1926 à 1933.

    dimanche 16 mars 2008

    Le Grand Jeu du Mois de Mars : un troisième indice

    La première réponse est tombée. Enfin ! Stéphane proposa Michel Abadie (1866-1922), parce qu'il publia un poème, "Lys bleu", dans La Plume, et des recueils de vers chez Vanier. Mais Michel Abadie, ami de Saint-Georges de Bouhélier et compagnon des naturistes, n'est pas l'auteur de ce "faune". Notre poète est plus jeune de quelques années. Stéphane identifia correctement le premier indice, puisqu'il s'agit bien d'un lys, mais la teinte en est moins précise. L'identification du deuxième indice suppose d'autres connaissances - dans un domaine scientifique qui n'est pas la botanique. Revenons aujourd'hui à nos chères belles lettres, avec ce montage de portraits poétiques.

    Indice n°3


    Notre auteur-mystère les fréquenta tous d'une manière ou d'une autre.

    Laissez vos réponses en commentaire.

    Un quatrième indice paraîtra la semaine prochaine ou après 7 propositions...

    lundi 10 mars 2008

    Feuilleton critique : Chapitre V.- La quête de l'absolu

    CHAPITRE V. - LA QUÊTE DE L'ABSOLU
    (pour lire l'introduction & les chapitres précédents, cliquez ici)

    "Les arcanes d'en haut sucés jusques aux moelles."

    Il appert du chapitre précédent que la poésie, rendue à son sens initial, est, avant toute chose, une colonisation de l'espace réel par l'imaginaire du poète. Cette prise de pouvoir, désirée, est rendue possible car l'imaginaire tend à remplacer la géographie du monde extérieur par sa propre architecture. On se souvient des prévisions de Breton : "Il y aurait des machines d'une construction très savante qui resteraient sans emploi; on dresserait minutieusement des plans de villes immenses (...) qui classeraient, du moins, les capitales présentes et futures(91)"; prévisions qui trouveraient leur archétype dans telle déclaration de Saint-Pol-Roux, faite onze ans plus tôt :
    "Géomètre dans l'absolu, l'art va maintenant fonder des pays, pays participant par l'unique souvenir de base à l'univers traditionnel, pays en quelque sorte cadastré d'un paraphe d'auteur; et ces pays originaux où l'heure sera marquée par les battements de coeur du poète, où la vapeur sera faite de son haleine, (...) où les ondes exprimeront son émotion, où les forces seront les muscles de son énergie et des énergies subjuguées, ces pays, dis-je, le poète, dans un pathétique enfantement, les meublera de la population spontanée de ses types personnels.(92)"
    Que les temps verbaux employés, dans chacune de ces citations, soient le futur et le conditionnel, prouve bien qu'il s'agit là d'un but à atteindre, de la finalité d'une quête. L'idéoréel, comme le surréel, représente ce lieu sacré où s'achève la marche poétique. Anna Balakian(93) a pu parler, à propos du Surréalisme, d'un nouveau mysticisme dont les fondements seraient nés du Romantisme, auraient évolué pendant le Symbolisme et se définiraient précisément dans les théories de Breton et ses amis : un mysticisme sans Dieu, où il n'est plus qu'une image, un mysticisme qui mène, à partir de l'exploration de l'univers, dans l'homme. D'autres, Julien Gracq et Jules Monnerot, auront souligné l'analogie assimilant la démarche surréaliste à la recherche passionnée du Graal. Et en effet, une même quête de la révélation préside aux investigations des poètes et aux exploits des chevaliers de la Table Ronde :
    "Aller à l'aventure dans l'inconnu véritable, celui au bord duquel nous nous trouvons chacun, en déployant les jambes de l'esprit repliées dans nos fronts comme les mesures futures du bien non pas à conquérir, puisqu'il n'existe pas, mais à créer, aller ainsi à l'aventure, dis-je, voilà le véritable mouvement.(94)"
    Or, toute l'oeuvre de Saint-Pol-Roux se place sous le signe de la mobilité. Sa première publication, Raphaëlo le Pèlerin, inaugure une série de titres qui expriment un identique trajet, orienté vers une illumination : Les Reposoirs de la procession, La Rose et les épines du chemin, De la Colombe au Corbeau par le Paon, Les Féeries Intérieures, La Randonnée. Contrairement à ce que laisse penser la connotation religieuse de certains de ces ouvrages, ce n'est pas Dieu que le poète trouve au terme de son pèlerinage. Les espaces infinis qui, microcosme & macrocosme se reflétant l'un l'autre, sont à la fois dans la matière et en dehors, ont fini d'effrayer. L'idéoréalisme, dont on sait à présent qu'il participe du double mouvement de dématérialisation du sensible et d'immatérialisation des concepts, permet de repousser les limites du fini et, en même temps, de représenter l'infini.

    L'usage récurrent et parfaitement maîtrisé de la litanie donne une idée du premier objectif. Ainsi cette prière aux choses à la fin du "liminaire" des Reposoirs de la procession :
    "O Choses : corolles closes sur les essences.
    O Choses : branches drapées sur les festins.
    O Choses : agrafes de cil sur les lumières.
    O Choses : murailles dressées sur les vestales d'harmonie.
    O Choses : toiles baissées devant les gestes nus.
    O Choses : pierres tumulaires des fantômes d'éternité.
    O Choses : éphémères palais des héros immanents.
    O Choses : étables hospitalières aux caravanes de mystère.(95)"
    La matière, "agrégat d'un nombreux désir humain", sous sa forme, par définition limitée, renferme l'idée, impalpable et mouvante; l'objet, évoqué et invoqué, devient alors vecteur de multiples virtualités. La parole poétique le dépossède de sa valeur d'usage et lui attribue un sens nouveau qui autorise l'accès non seulement à une meilleure connaissance dudit objet, mais également à une meilleure connaissance du sujet. Voici une autre litanie extraite du poème "Sur un ruisselet qui passe dans la luzerne" :
    "Onde vraie,
    Onde première,
    Onde candide,
    Onde lys et cygnes,
    Onde sueur d'ombre,
    Onde baudrier de la prairie,
    Onde innocence qui passe,
    Onde lingot de firmament,
    Onde litanies de matinée,
    Onde choyée de vasques,
    Onde chérie par l'aiguière,
    Onde amante des jarres,
    Onde en vue du baptême,
    Onde pour les statues à socle,
    Onde psyché des âmes diaphanes,
    Onde pour les orteils des fées,
    Onde pour les chevilles des mendiantes,
    Onde pour les plumes des anges,
    Onde pour l'exil des idées,
    Onde bébé des pluies d'avril,
    Onde petite fille à la poupée,
    Onde fiancée perlant sa missive,
    Onde carmélite au pied du crucifix,
    Onde avarice à la confesse,
    Onde superbe lance des croisades,
    Onde émanée d'une cloche tacite,
    Onde humilité de la cime,
    Onde éloquence des mamelles de pierre,
    Onde argenterie des tiroirs du vallon,
    Onde banderole du vitrail rustique,
    Onde écharpe que gagne la fatigue,
    Onde palme et rosaire des yeux,
    Onde versée par les charités simples,
    Onde rosée des étoiles qui clignent,
    Onde pipi de la lune-aux-mousselines,
    Onde jouissance du soleil-en-roue-de-paon,
    Onde analogue aux voix des aimées sous le marbre,
    Onde qui bellement parais une brise solide,
    Onde pareille à des baisers visibles se courant après,
    Onde que l'on dirait du sang de Paradis-les-Ailes...(96)"
    J'ai tenu à reproduire cette longue prière pour montrer comment l'épanchement de la parole poétique devient visuellement, sur l'espace de la page, cascade d'images. Par la litanie, série d'impressions personnelles qui se déploient au fur et à mesure qu'avance le poème, Saint-Pol-Roux parvient "à dresser la phénoménologie interne de l'objet, à en proférer toutes les idées(97)". Cette formulation totalisante attribue à la matière un ensemble de vertus insoupçonnées qui la libèrent de sa détermination communément admise, en un mot, la dématérialisent. Mais cette revalorisation des propriétés de l'objet, de sa nature, aboutit finalement à une révélation pour le sujet : "Ce Ruisselet, j'ai su depuis, était mon Souvenir-du-premier-âge".

    ***


    A cette dématérialisation du sensible qui gomme les cadres objectifs, s'ajoute la volonté poétique de donner forme à l'infini, de rendre perceptible l'invisible, comme dans "Le mystère du vent", où le sable de la plage s'agglomère pour reconstituer le corps de la femme aimée puis disparue, et concrétiser le désir du poète :
    "Ainsi, moyennant la transcription de la substance par le miroir du monde, tel infini parvient à se définir en du fini, l'abstraction daignant se formuler par des linéaments, se préciser par un squelette, se presque idéoplasticiser : linéaments, squelette, argile dont l'hypothèse est dans mes sens et la réalité dans ma foi.(98)"
    La finalité de ce processus de matérialisation est justement l'envahissement de l'espace réel, considéré comme vide, par une construction poétique vivante. Cette élaboration d'un "panthéisme quasi bactériologique(99)", rendue possible par l'énergie verbale, Saint-Pol-Roux la nomme : idéoplastie. Le texte recueilli dans La Rose et les épines du chemin, qui porte ce titre, se compose de deux parties. La première, théorique, résume la conception de l'imaginaire tendu vers sa réalisation :
    "Certes, aboutiront les couches cérébrales, et la sage-femme à l'usage de la Pensée s'offrira, selon nous, dans plusieurs mille ans, alors que, du front prédestiné, spontanément réels, l'esprit et la matière surgiront ainsi qu'à l'aube du démiurge.
    Ce sera l'âge utile du rêve, l'industrialisation - Shakespeare and C° - du génie.
    [...] Ce sont [les apports extraordinaires du poète] qui, provoquant la terminale catastrophe, feront cesser l'homme et commencer la divinité.(100)"
    La seconde partie en est l'illustration poétique, sous la forme d'un récit fabuleux. Arrivé, après une "ambulée rêverie", sur un plateau galeux, dévitalisé, sans êtres ni plantes, le héros-poète se munit de quoi écrire "afin de tracer, avant qu'elle ne s'esquive de [son] crâne, certaine légende inventée parmi la roche(101)". Suit une énumération de plus de vingt-quatre éléments qui suggère décor et personnages de la fiction qu'il couche sur le parchemin. L'écriture, "phénomène étrange", y acquiert alors une réalité qui surprend le sujet; la matérialité de l'encre s'adapte à ce qu'elle désigne, le mot devenant la substance de la chose : "blanche pour les cygnes, bleue pour les lins (...), [l'encre] trahissait l'arôme de la plante désigné; (...) elle exprimait des sons en transcrivant flûtes et cors(102)". Puis survient le miracle :
    "Mais ce fut prodigieux lorsque inopinément, sous l'action de cette encre séminale, tout, oiseaux, musique, végétations, édifices, bétail, s'orna de vie positive, là, sur le parchemin qui, graduellement amplifié, recouvrait maintenant le plateau entier...(103)"
    Du fait même de sa capacité à susciter une réalité nouvelle concurrençant le réel existant, le poète s'apparente au fou dont Anna Balakian, se fondant sur une citation d'un autre poème de Saint-Pol-Roux, dit qu'il est celui qui sait le mieux combiner le visible et l'invisible, c'est-à-dire ébranler la raison, cette "falaise logique(104)". Aussi seul un récit aux apparences d'absurdité, construit sur des oppositions, tel que peut se présenter, de prime abord, le récit de rêves, est capable de briser le cadre du fini. La critique américaine reproduit, comme exemple pré-surréaliste de ce genre poétique, un extrait de "L'âme saisissable(105)" :
    "Au fond, à gauche, à droite du haut sol de planches que que fouleront les Bizarres bariolés comme des oiseaux précieux ou des batraciens magiques, une toile enfantinement peinte s'éploie, sur laquelle : une princesse Naine épousant un Roi Géant; un Explorateur en houppelande bleu barbeau, et sous le bras un jeune parapluie, engoulé par un crocodile couleur d'herbe tendre; un Peau-Rouge qui se débat dans la colique abominable d'un reptile aux écailles d'huîtres, et autres parodies d'épouvante."
    Ce seul passage, qu'aurait pu signer Benjamin Péret, suffirait à expliquer l'intérêt des surréalistes pour l'oeuvre de Saint-Pol-Roux. Avant ses admirateurs, il a posé comme condition sine qua non à la conquête de l'absolu et à la révolution poétique, cette exploration des états marginaux de la conscience. Avec Rimbaud, il fut l'un des premiers, intuitivement, à "se soumettre à volonté les principales idées délirantes sans qu'il y aille pour lui d'un trouble durable, sans que cela soit susceptible de compromettre en rien sa faculté d'équilibre(106)".

    ***

    Qu'en leur temps, les oeuvres symbolistes aient été moquées, pour leur étrangeté, par les lecteurs exercés à l'implacable logique des romans naturalistes, cela rentre dans l'ordre d'une histoire littéraire habituée aux révolutions. Mais que certaines d'entre elles, dont la poésie de Saint-Pol-Roux, une fois le Symbolisme accepté et reconnu, n'aient pas été comprises par leurs contemporains(107) et seulement célébrées par quelques-uns des plus beaux poètes de la génération suivante, cela doit retenir notre attention de chercheurs, soucieux de rendre une cohérence à cette même histoire littéraire, en réhabilitant ses marges. Si Breton n'a jamais véritablement explicité la dette théorique et poétique que son mouvement a pu contracter envers l'idéoréalisme, c'est sans doute par mépris de cette rationalisation historique qui assimile poésie et littérature, et qui rejette, avec une certaine condescendance, dans les limbes des petits et des mineurs, des poètes qu'il jugeait grands et dont il admirait l'oeuvre. Car, écrit-il superbement, "que d'autres s'adonnent au petit jeu des dates ou à toute autre récréation stupide. Tout ce que j'aime est jeune et ne saurait vieillir. Tout ce que j'aime vit. Tout ce que j'aime est là(108)".

    De fait, la bibliothèque surréaliste idéale frappe par son éclectisme. On aurait bien des difficultés à établir une filiation; les précurseurs reconnus sont nombreux et assez peu représentatifs d'une seule école de pensée; d'Héraclite à Reverdy, en passant par Nicolas Flamel ou Marcelline Desbordes-Valmore, tous sont surréalistes dans un domaine différent. Du grand mouvement qui le précède, Breton et ses amis ne retiennent que quelques noms, Valéry, Ghil, Royère, le Maeterlinck des Serres chaudes, Paul Fort et Saint-Pol-Roux. De ce dernier seulement, on retiendra une théorie originale - alors que l'instrumentation verbale de René Ghil "semble bien désuète" -, de lui seul on dira que sa "poésie a contribué à l'élaboration de l'Esprit Nouveau, cette étape définie par Apollinaire d'où la poésie sortira entièrement renouvelée(109)". Et l'idéoréalisme de Saint-Pol-Roux constituerait donc bien une grande part de cette courroie de transmission reliant le Symbolisme au Surréalisme.

    - Fin de la Première Partie -

    (A suivre, la deuxième partie :
    - Eléments d'une "Admiration compulsive" :
    André Breton & Saint-Pol-Roux -)

    (91) "Introduction au discours sur le peu de réalité", op. cit., p.277.

    (92) "Réponse périe en mer", op. cit., p.34. On peut lire, à la page suivante, que "ces oeuvres-colonies partiront se situer parmi l'Espace et le Temps à la longue pourvues d'une géographie adéquate". Sur l'importance de cette fable théorique du Surréalisme, je renvoie à la troisième partie, "la chambre claire de l'image", de la thèse d'Angelos Triantafyllou, déjà mentionnée.

    (93) Anna Elizabeth Balakian, Literary Origins of Surrealism / A New Mysticism in French Poetry, éd. King's Crown Press, New York, 1947. Je lui emprunterai dans ce chapitre un certain nombre de réflexions dans la mesure où elle fait une large place à la doctrine de Saint-Pol-Roux et qu'elle est une des premières à avoir mis en perspective Symbolisme & Surréalisme. Cet ouvrage, moins connu que celui qu'elle a consacré à André Breton (André Breton, Magus of Surrealism), est peu cité par les spécialistes, et n'a jamais été traduit.

    (94) Saint-Pol-Roux, Le Trésor de l'homme, p.48.

    (95) "Liminaire", op. cit., p.154.

    (96) "Sur un ruisselet qui passe dans la luzerne", De la Colombe au Corbeau par le Paon, pp.128-129. Il est à remarquer, à la suite de Marguerite Bonnet, que Breton adoptera cette forme poétique dans "L'Union Libre" ("Ma femme à...") et dans "Fata Morgana" ("Momie d'Ibis"); cf. notice de Le revolver à cheveux blancs, O.C.II, p.1318 : "La construction litanique, délivrée de tout élément narratif (...) se rappelle peut-être la poésie de Saint-Pol-Roux".

    (97) Selon l'expression d'Anne-Marie Amiot dans "Saint-Pol-Roux le poète au vitrail ou de l'idéalisme à l'idéoréalisme", op. cit., p.42.

    (98) La Rose et les épines du chemin, p.72.

    (99) "Réponse périe en mer", op. cit., p.32.

    (100) "Idéoplastie", La Rose et les épines du chemin, pp.41-42.

    (101) Ibid.

    (102) Ibid., p.43.

    (103) Ibid. Henri Michaux, avec son recueil Mes propriétés (1929) et plus particulièrement le poème central, "Intervention", s'inscrit dans cette tradition.

    (104) Anna Balakian, op. cit., p.114 : "It is the fol who best knew how to combine the visible with the invisible". Avant cela, elle citait un extrait du poème "le fol", dans lequel le poète rencontre un évadé d'asile qui investit le néant par la simple évocation de ses désirs, à tel point que celui-là, a priori raisonnable, finit par entrevoir cette inédite réalité, et méditer sur la leçon du dément : "Croire posséder son rêve, ne serait-ce pas la suprême fortune ? [...] Le monde visible, qu'est-ce en vérité ? de l'invisible à la longue solidifié par l'appétit humain. Un jour Dieu sera-t-il traduit en saisissable par la somme des voeux des multitudes, - et d'ailleurs cet homme le touche-t-il déjà, peut-être ?" (La Rose et les épines du chemin, p.142). L'expression "falaise logique" est tirée de "L'enfer familial", poème des Féeries intérieures, p.102.

    (105) Les Féeries intérieures, p.72.

    (106) André Breton & Paul Eluard, "Les possessions", in L'Immaculée Conception, Editions surréalistes, Paris, 1930; repris dans O.C.I, p.848.

    (107) Toute sa vie, Saint-Pol-Roux a eu conscience d'écrire pour une jeunesse future : "En vérité, je me sens le contemporain de gens à venir, c'est à eux que je parle, c'est pour eux que je pense. Ils ne sont pas encore vivants, je ne suis pas encore mort. Eux et moi nous sommes à naître. Ils me mettront au monde et je leur servirai de père". (La Répoétique)

    (108) "Le maître de l'image", op. cit., p.899.

    (109) Tristan Tzara, "Essai sur la situation de la poésie", Le Surréalisme au Service de la Révolution, n°4, décembre 1931, pp.15-23; et version remaniée dans OEuvres Complètes, tome V, présentées et anotées par Henri Béhar, éd. Flammarion, Paris, 1982, pp.14-15.

    Rappel : L'énigme du Grand Jeu du Mois de Mars trouvera-t-elle son Oedipe cette semaine ?

    jeudi 6 mars 2008

    Grand Jeu du Mois de Mars : un nouvel indice


    Voici donc, moins parfumé que le précédent, un nouvel indice.


    Pour revoir l'indice précédent, cliquez .

    Et pour relire le poème, ici.

    mardi 4 mars 2008

    "Saint-Pol-Roux le Magnifique", un article de René de Berval

    Après avoir présenté Paris 1930 nen-dai, l'édition japonaise des Souvenirs de René de Berval, et le poème de Terres de vigilance qu'il avait, en 1939, dédié à Saint-Pol-Roux, je ne pouvais décemment m'arrêter en si bon chemin. Voici donc un assez long article, retrouvé en farfouillant dans mes archives pour la rédaction des billets précédents, que Berval consacra à son ami, président de l'Académie Mallarmé. Il parut dans Marianne, le 20 juillet 1938, illustré de cette belle photographie du poète devant son manoir. Place donc à

    Saint-Pol-Roux le Magnifique

    Le masque léonin de Saint-Pol-Roux,
    l'ermite de Camaret.

    On peut dire que "ce siècle n'existait pas", puisque M. Paul Roux - qui, par la suite, devait être sanctifié et magnifié - allait, en compagnie d'Ephraïm Mikhaël et de Pierre Quillard, fonder une revue. Elle avait, primitivement, dû s'intituler Le Symbole, puis L'Arche d'alliance. Et ce fut, simplement, La Pléiade qui vint au jour, cette Pléiade à laquelle Maurice Maeterlinck apporta de Gand son Massacre des innocents et à laquelle devait succéder le grand Mercure de France.

    Cela se passait à Paris, 19, rue Turgot, en 1886, chez le jeune Paul Roux.

    Le siècle de Mallarmé était né : le Symbolisme était fondé.

    Au début de 1895, Saint-Pol-Roux fuit Paris. Il gagne Bruxelles et, de là, se perd et s'installe dans la forêt des Ardennes du Luxembourg belge. Il part de la maison, de bonne heure le matin et ne revient que fort avant dans la nuit, après des courses folles dans les bois, hanté par cette Mort dont il recherche partout les traces et qui, une fois traquée, est obligée de se rendre à lui à merci.

    Ces trois années de vie légendaire, au milieu des ormes, des hêtres, des pins, des chênes, n'ayant pour tous compagnons que les lièvres, les couleuvres, les canards, les biches, les chevreuils et les cerfs, et la pensée de Mme la Mort, donneront naissance à une des plus grandes tragédies symbolistes : La Dame à la faulx. L'amoureux de la mort à force de la poursuivre l'a, enfin, attrappée et enfermée à jamais dans son livre. Mais, en même temps qu'il faisait sa connaissance, il découvrait son contraire : la Vie. Et, progressivement, germa dans l'esprit du poète une autre oeuvre dramatique : Sa Majesté la Vie, qu'il écrivit parallèlement à La Dame à la faulx. Cette piècee n'a jamais été représentée, car Saint-Pol-Roux a toujours manifesté le désir d'atteindre sa quatre-vingtième année... pour débuter sur la scène. Dans deux ans, donc, il nous sera donné la joie d'assister au triomphe d'un des plus grands poètes symbolistes, dans une oeuvre dramatique capitale, digne d'être représentée aux cours de Wotan et d'Odin.

    En 1897, Saint-Pol-Roux revient à Paris pour, au bout de quelques mois, fuir à nouveau. Il se réfugie, pendant sept années, au beau mitan d'un hameau de sept feux, en la presqu'île de Roscanvel. Le logis s'appelle "Chaumière de Divine", du nom de sa fille qui y naîtra. La vie reste la même qu'au Luxembourg. Au lieu de la forêt, c'est la mer; mais comme il le dit lui-même, "l'océan n'est qu'une autre forêt".

    Puis c'est juillet 1905, où toute la petite famille vient, définitivement, habiter le "manoir de Boultous", dès 1915 devenu "manoir de Coecilian", en souvenir du fils du poète qui repose à Verdun.

    Dès ses débuts à La Pléiade, Saint-Pol-Roux a prodigué, en vers et en prose, dans les poèmes publiés au Mercure de France, à L'Ermitage, aux Entretiens Politiques et Littéraires, et réunis sous les titres admirables de L'Ame noire du Prieur blanc, Le Bouc émissaire, Epilogue des saisons humaines et Les Reposoirs de la procession, tous les trésors d'une palette somptueuse et barbare.

    Bien que n'ayant rien publié depuis fort longtemps, le poète n'a jamais cessé de travailler. Seuls quelques journaux locaux ont eu le bonheur d'imprimer, de temps en temps, de ses poèmes. Dans un proche avenir, comme nous l'avons dit, Saint-Pol-Roux aura atteint sa quatre-vingtième année. On ne le croirait jamais à le voir. Sous son large front, que recouvrent de longs cheveux blancs, brillent les yeux du Magnifique. Ils sont d'une vivacité extraordinaire. Il parle d'une voix douce, calme, sereine, comme devaient le faire ces patriarches des saintes Ecritures, auxquels tant il ressemble. Il ne craint pas son âge. Ayant à jamais emprisonné la mort, il a conclu un pacte avec le temps. En novembre, paraîtra Le Solitaire à barbe blanche, sorte de curriculum vitae qui comprendra des souvenirs, des pensées et des poèmes. Puis, ce sera le tour d'une édition, revue et augmentée, des Reposoirs de la procession et, enfin, l'oeuvre dramatique qu'il écrivit il y a quarante-cinq ans.

    Son activité littéraire n'est égalable que par son activité vitale. Saint-Pol-Roux est président de presque toutes les associations et académies de Bretagne, sans parler de la plus importante : l'académie Mallarmé. On aurait dit qu'en l'élisant à la présidence de cette académie, on voulait réaliser le voeu de Stéphane Mallarmé qui, lors d'un banquet, l'avait, un jour, fait asseoir à sa droite en l'appelant : "Mon fils". Météore, il est récemment arrivé à Paris pour présider la séance, au cours de laquelle l'académie Mallarmé décerna son premier prix qui, comme on le sait, échut à l'excellent et jeune poète Jacques Audiberti, attaché à la rédaction du Petit Parisien. Saint-Pol-Roux repartit tout de suite après, pour retrouver Divine, sa fille, la fidèle Rose, sa servante, son manoir, sa mer, ses goélands et ses pêcheurs, sans lesquels il ne peut exister.

    Le chasseur des Ardennes a fait place au semeur de Roscanvel, auquel a succédé le grand ermite de Camaret.

    Sa vie est des plus simples et, par cela même, des plus grandioses : elle se passe dans ce vieux manoir irréel, qui doit certainement dater du temps où les chevaliers étaient à la quête du Graal. Et tout le monde sait que ces chevaliers étaient d'origine magique !

    Le manoir est situé au bout du monde, à l'extrémité de cette presqu'île du Finistère, qui est perpétuellement battue par les vents et les tempêtes. C'est la solitude absolue, immense, intense. Saint-Pol-Roux y vit avec Dieu, "dont il touche l'orteil", et y est entouré de ses envoyés.

    Chaque jour, habillé en marin, le Solitaire à barbe blanche fait le tour de son logis construit par les fées. Il parle aux flots, qui se roulent sous sa voix, et à ses goélands, ou plutôt à ceux de sa fille, Divine-la-bien-nommée. Ce sont Thalassa, "cette âme entre deux ailes", Héol, Kor[illisible], Mizdu, Iroise, Harmonie, Gallarwn...

    Saint-Pol-Roux commande au temps et à l'espace. Dans sa dextre, on le voit très bien tenant le sceptre de Jupiter. Il est le maître de la Pitié, de la Vie et de la Mort.

    Il travaille au sein des éléments.

    Ses poèmes sont des instants d'infini.

    Contrairement aux humains, dont les oeuvres font la vie, pour lui, c'est la vie qui fait les oeuvres.

    A la porte du Magnifique sera gravé ce vers :

    Tel qu'en lui-même enfin l'Eternité le garde !

    René de Berval.

    Rappel : Hmmm... le Grand Jeu du Mois de Mars serait-il à ce point difficile que personne jusqu'ici n'a encore osé émettre le balbutiement d'une hypothèse ? Peut-être le visiteur précautionneux pense-t-il qu'il n'a droit qu'à une seule tentative ? Eh bien, que nenni... osez, osez, je jugerai si vous dépassez la limite de propositions...

    lundi 3 mars 2008

    Feuilleton critique : Chapitre IV.- Vers une "Religion" de l'Imagination

    CHAPITRE IV. - VERS UNE RELIGION DE L'IMAGINATION
    (pour lire l'introduction & les premiers chapitres, cliquez ici)

    "Appeler l'appareil : l'idéoréalisateur"


    Récits de rêves et textes automatiques nous font entrevoir un monde nouveau, surprenant; la réalité s'y trouve déplacée et mise en doute. Ces expressions d'une subjectivité qui tendent à s'objectiver poétiquement découvrent une vérité interne, preuve, qui "cogne à la vitre", de la relativité universelle. Les certitudes vacillent. Ce que je vois n'est pas ce qui est. Ce que je pense et ce que je dis - la pensée se faisant dans la bouche - n'est pas moins vrai, n'a pas moins d'existence concrète que ce dans quoi je vis. Les mots employés pour désigner monde réel et monde imaginaire sont les mêmes, et pourtant il s'agit bien de deux réalités différentes, la seconde critiquant la première qu'elle cherche à détrôner. D'une langue unique naissent donc deux langages : le langage commun, dont l'objectif, pour Saint-Pol-Roux et les surréalistes, n'est pas tant d'être entendu de ses contemporains que de conforter, dans sa dimension pratique, l'ordre extérieur; le langage poétique qui établit de nouveaux rapports entre les éléments, bouleversant l'ordre logique des mots - et non de la syntaxe - afin de renouveler notre perception de l'univers. Et lorsque Breton dit "brouiller l'ordre des mots", il ne pense pas à leur relation grammaticale dans la phrase, mais à leur relation sémantique. "Qu'on y prenne garde, je sais le sens de tous mes mots et j'observe naturellement la syntaxe(67)", prévient-il. Conséquemment, la différence entre le discours usuel et le discours poétique ne réside pas dans une destruction de la langue; elle se trouve dans le changement d'unité, pourrait-on dire, sémantico-syntaxique. Si la phrase verbale, pour les deux pratiques, comporte également un sujet, un verbe et/ou un complément, le mot n'est plus, en ce qui concerne la poésie, l'unité de sens minimale puisqu'il y est remplacé par l'image(68). Dès lors, contrairement au signe qui renvoie à une réalité existante, le symbole auquel nous avons vu que s'apparente l'image, contribue à créer le tissu imaginaire, texte organique dont la vocation est de s'imposer à l'homme comme réalité inédite et totale.

    A l'origine de cette transmutation, il y a l'imagination, faculté primordiale à laquelle, depuis le Romantisme, les poètes cherchent à redonner les pleins pouvoirs et que les surréalistes vont vénérer et maintes fois célébrer dans leurs écrits.

    L'imagination se définit dans l'usage commun comme la propriété d'inventer des choses impossibles ou extravagantes; pour la plupart, elle conçoit ce qui n'existe pas et donc, ce qui ne saurait exister. Le petit Robert lui attribue les antonymes "raison, réalité et vérité". On peut en déduire qu'imagination est synonyme de "folie, irréalité et mensonge". Le terme apparaît sinon totalement péjoratif, au moins fort déprécié et se comprend-il d'abord négativement; l'imagination est ce qui n'est pas réel, vrai ou raisonnable. Et faire oeuvre d'imagination, selon l'expression lexicalisée, c'est élaborer un monde à partir d'artifices qui donnent l'illusion de la réalité. Aussi, la poésie dont on sait qu'elle est la plus pure manifestation de cette faculté psychique, se voit-elle, presque naturellement, rejetée, au pire, dans le domaine de l'inintelligible, au mieux, dans celui de l'improbable. Illogique, parce qu'elle remet en question notre rapport au monde et à nous-mêmes, la poésie s'oppose à la raison qui, si elle ne la considère pas toujours comme une folie, la réduit au rang de simple produit littéraire. Or, pour Saint-Pol-Roux, l'oeuvre poétique n'est pas une création artificielle, un reflet critique de l'univers; elle est une surcréation, ainsi que nous l'indique tel passage de sa "Réponse périe en mer" :
    "Conclusion, la formule d'art s'affirme surnaturaliste, le poète, après ses gestes d'éveil et d'emprise, ayant dorénavant à exprimer une vie inédite avec les malléabilités intelligibles et sensibles amalgamées dans son vif alambic ou bien à la merci de son aimant, malléabilités qu'il devra soumettre au courant transfigurateur, puisque l'oeuvre totale ne peut être que surcréation ou supercréation.(69)"
    L'oeuvre totale dépasse donc le simple domaine littéraire et engage le monde dans une étreinte qui le change. Pour cela, il faut que le poète sorte des cadres de la logique commune et lui substitue les lignes de sa logique individuelle, la syntaxe de son imaginaire. A André Breton qui lui proposait de réparer l'injustice qui lui était faite et de l'extraire de l'oubli dans lequel il était plongé, Saint-Pol-Roux avait répondu :
    "Voyez-vous nous sommes les prisonniers de la Raison. Celle à délivrer c'est l'Imagination, la véritable force humaine. Cette idée m'a sans doute mené vers le berceau de l'Imagination. La Bretagne est l'Imagination du monde, ai-je dit quelque part. Non que je m'en tienne à cette imagination superposée, stratifications des âges et des peuples; non pas l'imagination primaire dont sont farcis les bouquins de nos remanieurs, mais l'imagination primitive, en instance dans tout cerveau présent.(70)"
    Faire chuter la Raison, geôlière, de son piédestal et dresser un culet à la déesse Imagination, tel est le devoir du poète nouveau. Entre 1913 et 1925, Saint-Pol-Roux n'a cessé de produire articles et conférences pour expliciter sa conception. En 1917, alors que la guerre fait rage et engloutit la jeunesse et ses poètes, paraît au Mercure de France, un écrit du Magnifique dédié ironiquement à Maurice Barrès et significativement intitulé "La mobilisation de l'imagination". L'auteur y propose de mettre cette faculté poétique, aux "traditionnelles qualités d'improvisation et de spontanéité, de surprise et de rapidité(71)", au service de la victoire et de l'accession à la paix. Il est connu, par ailleurs, que Saint-Pol-Roux avait envoyé un certain nombre de lettres à des scientifiques (Edison) et à des politiques (son excellence Woodrow Wilson, le premier lord de l'amirauté britannique) pour leur présenter ses concepts d'armes nouvelles (notamment "une manière de bolide sous forme de ballonnet magnétique" ou "une cavalerie cannonière"(72)) et son plan de décrécysation de la guerre. Mais le poète n'est pas dupe car il sait que "l'homme n'adopte une découverte, charitablement offerte par l'Imagination, que si, subsidiairement, la Raison la lui donne ou la Science la lui vend(73)". A priori, cette folle du logis, comme il la dénomme quelques lignes plus haut - résumant la conception commune -, constitue un danger pour le monde rationnel ou rationalisé. Et Saint-Pol-Roux revient sur cette opposition, dans sa conférence de juin 1925(74), pour en démontrer, à travers une formule paradoxale, l'inanité :
    "On me confina donc au logis sous une étiquette de folie, parce qu'il fallait un motif, et j'entrai fatalement en léthargie au centre même de mon action. Ce long sommeil n'est que du temps perdu, les soleils n'y pouvant être couvés. Quand même j'opère, par à coup, médium à la merci de mes geôliers. [...] La raison c'est moi vue de dos.(75)"
    Cette dénomination qui assume le lien étroit unissant l'imagination à l'inconscient et à ses productions les plus extraordinaires, les surréalistes, présents parmi le groupe d'étudiants et de spectateurs curieux(76), la reprendront à leur compte pour exprimer un même souci de libération mentale. Voici ce qu'écrit René Crevel, se souvenant probablement des propos de Saint-Pol-Roux, dans "L'esprit contre la raison" :
    "Le "Je pense donc je suis" comme clé de voûte de la franc-maçonnerie individualiste, dans les piètres banlieues de l'intelligence, par milliers se multiplièrent les sordides cahutes où les hommes crurent facile d'oublier l'inquiétude scintillante des étoiles. Bons Raminagrobis qui doutent de tout et de tous, sauf d'eux-mêmes. Mais qu'un philosophe pousse l'outrecuidance jusqu'à traiter de "folle du logis" l'imagination, l'esclavage où d'autres prétendront la réduire n'aura pas été impunément imposé.(77)"
    ***

    L'imagination, on le voit, apparaît bien à Saint-Pol-Roux et ses admirateurs comme un principe déraisonnant - entendez libérateur - plutôt que déraisonnable, un principe non pas directement créateur, mais déclenchant, qui met en branle le génie poétique, le pousse à produire du nouveau, et, par conséquent, à corriger Dieu :
    "Intelligence de l'instinct, génie qui ne s'est pas donné peine de naître, je suis la force native, la plus proche du mystère et la première chez l'homme, donc divine en soi, force qui, par le moyen des images, grignote Dieu : ce grand joujou des philosophes.(78)"
    On retrouve ici, en filigranes, un mythe qui n'est pas seulement récurrent dans l'oeuvre du Magnifique, mais qui court tout au long de l'histoire de la poésie, le mythe de Prométhée. Avec ceci d'original chez notre auteur que l'imagination est à la fois l'objet de la transgression, le feu sacré à reconquérir, à faire mûrir(79) dans tous les cerveaux humains, et le sujet actif de cette transgression qui cherche à rétablir l'homme dans son unité perdue, dans sa divinité initiale. Quelle que fût la position théologique du surréalisme ou la distance prise par rapport à l'idéalisme, Breton et ses amis n'ont jamais renié cette tradition qui assimile le poète au démiurge. En effet, l'auteur de l'introduction au discours sur le peu de réalité, avant même de critiquer les "dogmes irréversibles" auxquels la raison soumet la poésie, n'omet pas de réaffirmer la véritable nature de cette dernière :
    "Les créations poétiques sont-elles appelées à prendre bientôt ce caractère tangible, à déplacer si singulièrement les bornes du soi-disant réel ? [...] Le Dieu qui nous habite n'est pas près d'observer le repos du septième jour. Nous en sommes encore à lire les toutes premières pages de la Genèse. Il ne tient peut-être qu'à nous de jeter sur les ruines de l'ancien monde les bases de notre nouveau paradis terrestre.(80)"
    L'imagination tend à s'objectiver. Rejouer les temps premiers de la création, c'est recouvrer le pouvoir d'agir sur le réel, de le façonner. La poésie nous invite alors à relire l'histoire de l'humanité au grand jour de ce principe originel qu'est l'imagination. "Notre lumière à nous, dit Saint-Pol-Roux, s'allume à l'étincelle initiale de notre cerveau. Ainsi proviennent tous les beaux incendies de l'histoire." Et il poursuit en interprétant poétiquement les grands gestes fondateurs des civilisations : "le buisson ardent n'est au fond que l'imagination de Moïse prenant feu sur la colline sainte", et "le sermon sur la Montagne qui nous offrit le paradis (...) c'est encore la tendre imagination du poète de Galilée brûlant jusqu'au ciel(81)".

    Non, l'imagination n'est pas le contraire de la réalité; elle la précède. "Moisson avant les semailles", ainsi se définit-elle superbement dans la conférence du Trésor de l'homme. Breton ne dira pas autre chose lorsqu'il affirmera que "l'imaginaire est ce qui tend à devenir réel(82)". L'histoire des hommes montre que les grandes révolutions concrétisent un désir collectif, d'abord jugé déraisonnable, dangereux par essence, et à la longue admis comme norme et critérium de la raison. "Demandons-nous si la Révolution ne fut pas l'explosion la plus historique de l'Imagination populaire, autrement dit, le plus formidable de tous les éclairs. [...] Que si oui, n'est-ce pas elle, la Révolution, qui engendra la déesse Raison ?(83)" Aussi, l'imagination contredit-elle cette dernière, figée parce qu'institutionnelle, par sa nature mobile, son mouvement toujours recommencé et tendu, dans un dépassement constant de la réalité existante, vers l'avenir. En avant, la devise adoptée, il faut, écrit encore Saint-Pol-Roux, augmenter le volume de la vie présente "par une création nouvelle qui sera comme une anticipation de l'avenir, mieux encore la prévision de cet avenir, mieux encore, cet avenir même en gésine(84)".

    ***

    L'imagination, telle l'écriture qui la manifeste, apparaît alors comme le médium de cette réalité nouvelle, de cette surcréation. Elle est, en quelque sorte, la matière première, ou plutôt l'énergie transformable et inépuisable, invisibilité qui devient perceptible. C'est en effet ainsi que le poète la conçoit. Les lettres écrites pendant la guerre et mentionnées plus haut prouvent l'intérêt jamais démenti de Saint-Pol-Roux pour les découvertes scientifiques. Il admirait Edison et Einstein à qui il dédia "la supplique du Christ" (1933), et il lisait assidûment les pages consacrées aux sciences - chimie, physique et mathématiques - dans le Mercure de France. Il se tenait au courant notamment des travaux de Pierre & Marie Curie sur les éléments radioactifs. Cette curiosité pour un domaine qui, a priori, n'a que peu de rapports avec la poésie, ressort avec force dans la conception idéoréaliste, et notamment en ce qui concerne l'imagination. Déjà, "Chorélogie" affirmait en 1914 que "ces rares énergies que les praticiens extraient de la nature ont leur équivalent dans l'esprit de soleil des surcréateurs" et concluait que "le poète est radioactif(85)". L'imagination est donc appréhendée comme l'énergie première, irradiante, se transformant en une réalité palpable. Saint-Pol-Roux la compare d'ailleurs souvent au métal découvert par les Curie :
    "On s'est occupé longuement de la force des choses qui simplement sont, on est descendu dans le sol pour en extraire le minerai, le charbon, la pierre, le diamant; ensuite, peu à peu, du pesant on s'est haussé au subtil, c'est-à-dire à la force mentale des énergies; l'électricité c'est l'imagination de la Nature dont le radium est le génie.(86)"
    Il s'agit bien évidemment d'un radium spirituel, différent du matériel, mais aux propriétés approchantes, et finalement non moins élémentaire. La démarche idéoréaliste assimile l'exploration poétique à l'exploration scientifique, établissant une communication entre l'homme et le monde : "On a trop fréquenté les mines inférieures, ces matérielles, gravissons les mines supérieures, ces spirituelles, où l'Imagination nous précède en balançant sa lampe d'or". Saint-Pol-Roux est fasciné par le processus de production énergétique, par le progrès scientifique qui découvre de nouvelles sources intarissables, presque autonomes - libérant l'homme de son labeur - et comme surnaturelles. Il y voit l'image même du processus poétique matérialisant le monde des idées. Dans les cahiers préparatoires de sa conférence, se trouve une note qui reproduit les statistiques suivantes :
    "La houille blanche maîtrisée, dont on a capté la puissance jusqu'à 2000 mètres au-dessus des usines, représente aujourd'hui la même énergie utile, pour une année, que dix millions de tonnes de charbon.
    Ca équivaut à la production houillère.
    De même bientôt pour l'utilisation pratique de la houille bleue, c'est-à-dire l'énergie des marées.(87)"
    statistiques suivies de cette profession de foi : "nous allons aux énergies spirituelles dont les courbes formeront le rythme de la poésie nouvelle". Ce qui frappe ici, c'est la référence non pas à l'énergie issue de la matière terrestre (le charbon), mais à celle qui naît, qu'elle soit cascade ou marée, de l'onde, autre terme que Saint-Pol-Roux emploie fréquemment pour désigner l'imagination, dont la mobilité et la quasi immatérialité en rappellent les caractéristiques. Ce qui frappe également, comme le souligne Angelos Triantafyllou(88), c'est la reprise de cette analogie par Breton. On peut lire, en effet, dans "Il y aura une fois" :
    "Il y aura toujours, notamment, entre les idées dites reçues et les idées... qui sait, à faire recevoir, une différence susceptible de rendre l'imagination maîtresse de la situation de l'esprit. C'est tout le problème de la transformation de l'énergie qui se pose une fois de plus. Se défier comme on fait, outre mesure, de la vertu pratique de l'imagination, c'est vouloir se priver, coûte que coûte, des secours de l'électricité, dans l'espoir de ramener la houille blanche à sa conscience absurde de cascade.(89)"
    L'imagination, cette énergie spirituelle, point de départ de toutes les grandes créations humaines, permet d'envisager une nouvelle révolution qui serait à l'origine d'un monde libéré une fois pour toutes de la raison et des lois, un monde dont les poètes seraient les seuls législateurs et les seuls bâtisseurs. Qu'il présente l'architecture d'un château comme chez Breton, ou qu'il devienne la Répoétique tant désirée par le Magnifique, il est le lieu fantasmé, le point magnétique et suprême où "nous voguons en pleine imagination" et où "les grands enfants jouent aux billes avec des têtes dont les vieilles idées coulent sur le pavé(90)".

    (A suivre...)

    (67) André Breton, "Introduction au discours sur le peu de réalité", op. cit., p.276.

    (68) Je renvoie ici à l'étude magistrale de Jean Burgos, Pour une poétique de l'imaginaire (Seuil, Paris, 1982), pour qui l'image est à la base d'une syntaxe de l'imaginaire. Son livre consacre un chapitre entier à S.-P.-R., et plus particulièrement à La Dame à la faulx, intitulé "Saint-Pol-Roux ou les exorcismes du verbe" (pp.283-315).

    (69) "Réponse périe en mer", Mercure de France, T. CIII, 1913, pp.652-658; repris dans De l'Art Magnifique, p.33.

    (70) Brouillon d'une lettre de S.-P.-R. en réponse à la missive d'André Breton du 18 septembre 1923, reproduit dans la revue Poésie présente (n°87, Rougerie, Mortemart, juin-août 1993, pp.21-22). La lettre fut effectivement envoyée puisque Breton en reproduit une partie dans le dernier numéro de Littérature, avec quelques variantes. J'y reviendrai.

    (71) "La mobilisation de l'imagination", Mercure de France, T. CXX, 16 mars 1917, pp.222-223; repris dans Glorifications (Rougerie, Mortemart, 1992), p.55.

    (72) Tous ces textes ont été regroupés dans La transfiguration de la guerre (Rougerie, Mortemart, 1976). Il convient de noter, à la suite d'Alain Jouffroy, que ces concepts, s'ils n'ont pas été pris au sérieux à l'époque, furent d'une certaine manière réalisés. Ce sont les fusées à tête chercheuse et les tanks. Ces textes méritent d'être lus pour la place majeure qu'ils accordent à l'imagination et à ces manifestations oniriques.

    (73) "La mobilisation de l'imagination", op. cit., p.49.

    (74) Il s'agit de la conférence "Le trésor de l'homme", prononcée le 19 juin 1925 devant l'Association des Etudiants de Paris, 13, rue de la Bûcherie, dont le texte a été publié chez Rougerie en 1970. Cf. ce précédent billet.

    (75) Le Trésor de l'homme, p.33. Il s'agit d'une prosopopée de l'Imagination, "Belle au cerveau dormant" (p.32).

    (76) La présence des surréalistes est attestée par un compte rendu de la conférence, paru dans Comoedia en juin 1925 : "Au premier rang, on remarquait André Breton et ses chevaliers du rêve... car ces poètes ont reconnu en S.-P.-R. un divin précurseur du surréalisme". On consultera également les Lettres de Simone Breton à Denise Lévy.

    (77) "L'esprit contre la raison", Les Cahiers du sud, Marseille, 1927; repris dans L'esprit contre la raison et autres écrits surréalistes (éd. Pauvert, Paris, 1986), p.44. C'est Montaigne qui, le premier, usa de l'expression "folle du logis", puis Malebranche la reprit.

    (78) Le Trésor de l'homme, p.34.

    (79) S.-P.-R. achevait la lettre précitée à André Breton sur cette injonction, devenue un mot d'ordre du Surréalisme quelques mois plus tard : "Faites mûrir ces cerveaux, faites les éclater. Ainsi le monde ne se répètera plus. Il y aura des aurores à tout moment, ce sera l'ère vierge du génie".

    (80) "Introduction au discours sur le peu de réalité", op. cit., pp.277-278.

    (81) Le Trésor de l'homme, p.44.

    (82) "Il y aura une fois", Le revolver à cheveux blancs, éd. des Cahiers libres, Paris, 1932; repris dans O.C.II, p.50. Reprise prossible de la phrase de "la mobilisation de l'imagination" : "L'imagination nous expose la soudaine image de ce qui devrait être" (p.56).

    (83) "La mobilisation de l'imagination", op. cit., p.55.

    (84) Le Trésor de l'homme, p.39.

    (85) "Chorélogie", Montjoie, n°1, janvier-février 1914, pp.2-4; repris dans Idéoréalités, p.130. S.-P.-R. a donné cet article à Breton lors de sa visite à Camaret en septembre 1923. Ce dernier en cite un long passage dans sa contribution à l'hommage collectif des surréalistes, "Le maître de l'image".

    (86) Le Trésor de l'homme, "Deuxième conférence", p.159.

    (87) Ibid., p.62.

    (88) Angelos Triantafyllou, Images de la dialectique et dialectique de l'image dans l'oeuvre théorique et poétique d'André Breton, thèse de troisième cycle, sous la direction de Jacqueline Chénieux-Gendron, Université de Paris VII, 1997, p.270.

    (89) "Il y aura une fois", op. cit., p.50.

    (90) Le Trésor de l'homme, p.52.


    Rappel : Ah, qu'il est intimidant ce "faune" du Grand Jeu du Mois de Mars, même fleuri d'indice ! Quel audacieux, le premier, parviendra à le saisir pour lui ôter son masque ? Sera-ce, bénéficiant d'une longueur d'avance sur les autres concurrents, quelque argonaute posant ses pas dans ceux que laissa le Jason parti en quête de la Toison d'or du temps ?