mercredi 17 octobre 2007

Notule : Michel-Féline, toujours...

Mes recherches sur Michel-Féline progressent. J'ai retrouvé, cette semaine, un nouveau compte rendu de l'Adolescent confidentiel paru dans les Entretiens politiques et littéraires, et signé Francis Vielé-Griffin. Décidément, les contemporains ne prirent pas les vers du jeune poète au sérieux. L'auteur de la Chevauchée d'Yeldis crut même à quelque nouvelle blague de Gabriel Vicaire, l'un des pères (l'autre étant Henri Beauclair) du décadent Adoré Floupette :
"Quant à M. Gabriel Vicaire, à M. Michel Féline ou tout autre, qui avec l'Adolescent confidentiel renouvelle à huit années d'intervalle et assez plaisamment les prouesses parodistes d'Adoré Floupette, nous ne lui reprocherons qu'un manque de goût qui est presque un manque de coeur : la dédicace d'une pareille brochure "à Jules Laforgue poète mort". Je me souviens que M. Beauclair, co-auteur des Déliquescences, navré des articles désobligeants pour ses camarades qu'avait prétextés ce petit livre, en interdit la réimpression et sacrifia sans regret les billets bleus qu'elle lui eût assurés. Un conseil de M. Beauclair aurait pu éviter à l'auteur de l'Adolescent confidentiel une profanation de sépulture - et cela eût mieux valu.

M. Vicaire, puisque le ruban rouge et le "banquet-Terminus" ne semblent pas lui avoir inoculé une dignité ennemie du rire, a pu constater avec plaisir ou étonnement mais surtout avec hilarité, que toute parodie se corsât-elle de stupidité étudiée et de grivoiserie mystique, reste néanmoins au-dessous de ce qu'écrivent de bonne foi nos contemporains lyriques.

Tout le monde a plus d'esprit que Voltaire, mais les choses ont plus d'esprit que tout le monde." (Entretiens politiques et littéraires, n°28, juillet 1892, pp. 40-41)
Vicaire, à son tour victime, des années après sa naissance, de sa créature décadente, envoya une lettre à Vielé-Griffin pour nier la paternité du recueil; la réponse et son commentaire furent publiés dans le numéro suivant :
"Monsieur,

J'ignore absolument M. Féline et son adolescent confidentiel, et suis fort surpris de vous voir mêler mon nom à cette affaire.

Quant aux Deliquescences c'est moi seul qui en ai interdit la réimpression, ainsi qu'en pourraient témoigner Verlaine et bien d'autres.

Recevez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments distingués.

GABRIEL VICAIRE,
26, rue Denfert-Rochereau.

Nous ferons remarquer à M. Vicaire que la publication de l'Adolescent confidentiel ne saurait être une "affaire" que pour M. Bailly éditeur, affaire que nous souhaitons fructueuse à lui et à M.
Féline qui ne se plaindra pas, nous l'espérons, de la réclame que nous sommes heureux de lui faire.

Quant à ce que nous disions de la non-réimpression des Deliquescences, nous le tenions de M. Beauclair d'accord (nous le supposions) avec M. Vicaire; félicitons donc ce dernier, et sans invoquer le témoignage de M. Verlaine, de l'initiative qu'il réclame." (Entretiens politiques et littéraires, n°29, août 1892, p.105)
La parution de l'Adolescent confidentiel ne constitua peut-être pas une "affaire", mais elle souleva bien des interrogations parmi les symbolistes qui y reconnurent - s'exhibant avec outrance (ce qui les choqua) - leurs tics, tics et tics. Le plus étonnant, dans cette histoire, c'est l'absence totale de réaction de l'auteur véritable. Que pensait Michel-Féline de cette dépossession et du classement de son recueil parmi les supercheries poétiques du siècle ? La dédicace ambiguë à Laforgue semble le désigner comme un ironiste. S'amusa-t-il de la polémique ? Il n'a laissé, apparemment, aucun exposé de ses conceptions, aucune opinion sur les écoles et les poètes de son temps. Il ne publia que quelques poèmes dans des petites revues symbolistes et ésotériques(1), avant de les recueillir dans son volume, puis disparut du monde des lettres, si efficacement qu'on finit par douter de son existence. Il y a donc un mystère Michel-Féline, qui repose non seulement sur le manque de témoignages laissés par ses contemporains, mais aussi et surtout sur un recueil unique, étrange, qu'on put, tour à tour, attribuer à Gabriel Vicaire, parodiste parnassien, et à Paul Valéry, le très-intelligent disciple de Mallarmé, l'architecte de la poésie-pure.

Une trouvaille récente me permettra peut-être de lever prochainement un peu de ce voile énigmatique. En consultant les livraisons du Mercure de France pour l'année 1922, je suis tombé - rubrique : Publications nouvelles/Roman - sur cette référence bibliographique :

Michel Féline : La mélancolie de son bonheur; Sansot. 6 fr.

D'après le Catalogue Collectif de France, un roman, portant ce titre, et signé Michel Féline existe bien. En voici la notice détaillée :
Auteur(s) : Féline, Michel.
Titre : Michel Féline. La Mélancolie de son bonheur [Texte imprimé]
Publication : Châteauroux, Société d'imprimerie, d'édition et des journaux du Berry, Paris, R. Chiberre éditeur, 7, rue de l'Eperon, 1921. In-16, 192 p. 6 fr.
Description : 189 p. 19 cm
Chiberre et Sansot étaient éditeurs associés. A moins d'un homonyme, il semblerait que notre poète soit sorti de l'ombre après-guerre. Malheureusement, le Mercure de France n'en donna pas de compte rendu. Y aurait-il une piste à suivre en région berrichonne ?

(1) Il aurait publié quelques-uns des poèmes de l'Adolescent confidentiel dans la revue de Papus, Le Voile d'Isis. Dans son ouvrage sur Les Sources Esotériques et Occultes de la Poésie Symboliste (1870-1914) (Nizet, Paris, 1969), Alain Mercier précise que la revue rendit compte favorablement du "recueil de Michel Féline, L'Adolescent Confidentiel, qui mériterait d'être mieux connu aujourd'hui" (Tome I, p.231).

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