mercredi 4 juillet 2007

Les jeunes revues et "L'Echo de Paris littéraire illustré"


Je viens d'acquérir ce numéro de L'Echo de Paris (supplément littéraire illustré), daté de dimanche 13 novembre 1892. Depuis la célèbre enquête de Jules Huret sur l'évolution littéraire, parue du 3 mars au 5 juillet 1891, dans le quotidien, ce dernier s'était ouvert aux jeunes, notamment symbolistes, organisant, en son supplément, des concours de prose et de poésie. Marcel Schwob, Jules Renard, Alfred Jarry, Remy de Gourmont, Saint-Pol-Roux y donnèrent des textes, et Alfred Vallette, le directeur du Mercure de France, y tint régulièrement une chronique sur


Il faut dire qu'elles étaient de plus en plus nombreuses à éclore - certaines pour mourir aussitôt - et jouant un rôle considérable dans l'installation de la littérature nouvelle. L'intérêt des quotidiens pour ce phénomène contribua à attirer l'attention d'un public, plus accoutumé aux lettres officielles, sur des artistes, des romanciers, des poètes qui lui étaient jusqu'alors inconnus. Le Journal, fondé et dirigé par Fernand Xau, à la fin septembre 1892, alla même jusqu'à s'entourer exclusivement de jeunes réunis autour du combatif Octave Mirbeau. Le vent du symbolisme soufflait dans toutes les rédactions.

Dans cette livraison de l'Echo de Paris, illustrée par Forain et Daumier, qui contient des poèmes de Henri Barbusse (prix de poésie) et de Robert Aymeric, une nouvelle de Maupassant, "La Prière sur l'Acropole" de Renan, une étude sur Pierre Loti par Georges Docquois, et la fin de L'écornifleur, roman de Jules Renard, Vallette commente le numéro d'août-septembre de Chimère, revue montpelliérenne dirigée par Paul Redonnel, et, plus longuement, le numéro d'octobre de la Revue Blanche, dans lequel Saint-Pol-Roux vient de donner des "Tablettes de voyage".

Vallette en cite un premier extrait, un sonnet, "Message au Poète adolescent", - qui servira d'épigraphe en vers au "Liminaire" des Reposoirs de la Procession de 1893 -, avant de commenter le style du Magnifique :

"M. Saint-Pol-Roux concrète tout, sentiments, idées, sensations, en images violentes; il faut être initié à ses habitudes d'esprit et à sa manière de percevoir des correspondances pour le déchiffrer à première lecture. Le sonnet reproduit plus haut n'est pas difficile; je sais de lui des poèmes que leurs métaphores exaspérées rendent presque inintelligibles même à ceux qui le connaissent bien. Sa phrase, pourtant, est ordinairement simple, quoique précieuse. Je reviendrai quelque jour sur ses théories; je citerai aujourd'hui l'une de ses courtes proses, également extraite de la Revue Blanche et qui a pour titre : Moulins."


"La colline est pleine de géantes Folles à la file dont les caboches virevirent.
Ces méninges extravagantes sur ces corps roides ainsi que des menhirs me firent songer à ces vieillardes qui pétrissent leur boule de mémoire entre leurs pouces devant les seuils enjolivés d'enfants, puis bizarrement j'imaginai des orgues de Barbarie jouant devant des sourds.
- Que je vous plains, pensai-je, géantes Folles à la file dont les caboches virevirent !
Cela tournait toujours, quoique sans avancer, telles des roues au moyeu englué dans une ornière de brise.
Désireux de placer ma commisération, je m'approche et je dis :
- Que je vous plains, géantes Folles à la file dont les caboches virevirent !
Cela tournait encore, comme des soleils éteints d'un vieux feu d'artifice, sans répondre.
Alors, visant les oreilles dures, j'y criai :
- Que je vous plains, géantes Folles à la file dont les caboches virevirent !
Cette fois, ensemble elles chantèrent :
- Hommes, ces Vierges Folles sont des Vierges Sages dont le pèlerinage qui demeure engendre le salut des pèlerins qui passent et qui sont les vrais Fous : la sagesse consistant à réaliser le pain dont rêve l'oisive folie. Galériennes asservies de votre rire en promenade, nous stagnons là depuis des temps encore; mais que nous soyons de grosses oies sur le foie grandi desquelles vous comptiez ou bien des pélicans s'éventrant pour vos repas, gardez-vous de narguer ces maternités obligatoire ou charitable, ô vous qui cesseriez de vivre si nous commencions à mourir ! Enfin apprenez qu'ici-bas l'on voit tourner seule notre collerette et non point notre tête, car nous sommes les Décapitées dont la tête mûrit là-haut sur les épaules de Dieu.
Mes pieds ayant repris le rosaire des sentiers fleuris, je me disais :
- Les moulins ont-ils une âme de poète, ou les poètes une âme de moulin ?"

Le texte reproduit dans l'Echo de Paris contient une omission. Il faut lire : "nous stagnons là depuis des temps et pour des temps encore" et non "depuis des temps encore". "Moulins" et "Message au Poète adolescent" furent composés lors du premier séjour camarétois de Saint-Pol-Roux. Il avait déjà, à deux reprises, séjourné en Bretagne, mais jamais dans ce port du bout-du-monde où il s'installera définitivement à partir de 1905. Camaret était une colonie estivale d'artistes : Cottet, Sauvaige, les Toudouze, André Antoine et Jean Ajalbert (encore lui) y villégiaturaient à cette époque. Le Magnifique rapporta de ce séjour plusieurs "tablettes" qui figureront dans le premier volume des Reposoirs de la Procession. J'en dirai un mot prochainement...

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